Il est plus que probable que beaucoup se demanderont, à la lecture de ce nom et à la vue de cette photo : "Mais qui est-ce ? Un chanteur russe, probablement, en tout cas slave ? Un ténor, probablement, vue l'apparence...Catégorie "Hommage", donc il vient de mourir...Son nom me dit vaguement quelque chose...".
Et il est vrai que Maurice Maievski est aujourd'hui bien oublié, à tel point que sa disparition est passée tellement inaperçue qu'il a fallu que je l'annonce moi-même à certains de ses collègues et amis, ainsi qu'à l'une de ses élèves. Il avait probablement des origines slaves, son véritable nom étant Maurice Machabanski, mais il était bien Français, né à Paris le 11 janvier 1938. Et le morphotype ne trompe pas, il était bien ténor. Maievski était son nom d'artiste, avec ou sans tréma, avec un "v" ou un "w" au milieu et un "i" ou un "y" à la fin. Tout cela selon les programmes ou les affiches. Mais tout de même, ce nom vous dit quelque chose. Bien...Sortez de votre discothèque la version de Carmen dirigée par Georges Prêtre avec Maria Callas et Nicolai Gedda, enregistrée à la Salle Wagram entre le 6 et le 20 juillet 1964. Regardez qui chante le Remendado. Ils s'y sont mis à deux pour ce rôle épisodique : Jacques Pruvost et...Maurice Maievski. C'est, à ma connaissance, le seul disque officiel où il apparaisse.
Il était entré au Conservatoire de Paris en 1957 en étant baryton, il en sortit ténor, après avoir dû interrompre ses études pour cause de guerre d'Algérie. Cursus bref mais apparemment efficace, puisqu'il fait ses débuts en 1962, dans le rôle de Dimitri de Boris Godunov à l'Opéra de Reims. Dès 1963, il est engagé à l'Opéra de Paris, où il enchaîne les seconds rôles durant trois ans. Excellent moyen d'apprendre le "métier", surtout quand on bénéficie d'un bon de sortie pour un Turiddu à Favart. Mais il était difficile de se faire une place à Garnier, les ténors de premier plan étant nombreux à l'époque. Alors direction les théâtres de Province, où il chante un nombre incalculable de "grands rôles" : Don José, Roméo, Hoffmann, Chénier, Cavaradossi, Werther, Faust et même Lohengrin. De retour à Paris de 1969 à 1971, il y interprète Canio ou Dick Johnson à Favart, et José, Don Carlos ou Mario à Garnier, avant de quitter définitivement la "Grande Boutique" (il ne fut donc pas victime de la dissolution de la Troupe imposée par Liebermann). C'est à nouveau dans tous les théâtres de France que l'on pourra l'entendre, mais aussi à l'étranger. Invité à Glyndebourne, il y chante Hermann en 1971 et Bacchus en 1972. Le Bolshoï l'accueille en Radames, ainsi que Genève, Bruxelles, Palerme, Philadelphie, Madrid, Santa Fé, Montevideo, Téhéran et bien d'autres lieux. Il aborde alors des rôles plus "lourds", tels Florestan, Samson ou Otello.
Mais au milieu des annés 80, sa carrière subit un sérieux coup de frein. Les raisons en sont multiples, la principale étant que suite à un second mariage, il préféra privilégier la sécurité pour sa famille et assurer l'éducation de ses enfants, les contrats se faisant plus rares. Il se tourna alors vers l'enseignement, tout en continuant à se produire de temps en temps dans les théâtres de Province. J'ai ainsi pu le côtoyer lors d'une production de Rêve de Valse d'Oscar Straus en 1994 à Troyes, et il semble que sa dernière apparition ait eu lieu à Calais, le 9 mars 1997, dans le rôle de Pinkerton.
Il est tout de même étonnant que cette carrière se soit arrêtée si tôt, les voix de ce calibre (quelque part entre spinto et ténor dramatique) n'étant pas légion en France. Lors de ma rencontre avec lui, j'avais pu sentir comme une certaine amertume, une évidente nostalgie de la scène. Il est vrai que le rôle de Fonségur était bien loin de ceux qu'il chantait encore une dizaine d'années plus tôt. Certains de ses collègues ont évoqué un "léger" dilettantisme, l'un d'entre eux me parlant d'une production de Carmen qu'ils avaient donnée ensemble, avec une seule répétition. La version choisie était celle utilisant les passages parlés originaux...et Maurice ne les connaissait pas, ce qui fut assez peu apprécié. De même, pour cette représentation de Rêve de Valse, il se présenta à la Générale avec plus d'une heure de retard, provoquant la fureur de son amie, la regrettée Michèle Herbé, qui en assurait la mise en scène. Il est très possible que cette attitude ait pu lui nuire, une réputation étant très vite collée à la peau d'un artiste. D'autres, par ailleurs, se sont interrogés sur sa façon d'interpréter à peu près tous les rôles avec la même émission "sombrée" et parfois en force. Une troisième catégorie, moins charitable, suggéra qu'il fut peut-être l'un des exemples du qualificatif accolé parfois aux ténors...jouant beaucoup sur son physique à la Corelli et sa prestance, et que cela se ressentait dans certaines interprétations.
Je préfère retenir sa très grande gentillesse. Maurice était tout sauf un chanteur qui se prenait pour une star, et avait le même comportement avec les chefs d'orchestre, les collègues, les choristes ou les machinistes. Profondément humain, il s'inquiétait de la santé de chacun, rassurait les angoissés d'un mot d'encouragement, se mélangeait aux "anonymes" lors des repas. Il est vrai qu'entendre chanter Fonségur un peu comme si l'on avait Samson à côté de soi donnait quelque chose d'étrange, mais on l'oubliait très vite. Et, surtout, s'il est probable qu'il malmena sa voix en pensant souvent à "balancer", il en connaissait pourtant parfaitement tous les arcanes de la technique. Ce fut notable dans son enseignement, et ses élèves du XXème arrondissement, d'Issy-les-Moulineaux ou d'ailleurs ont tous bénéficié de ses conseils avisés, parlant aujourd'hui de lui avec beaucoup d'émotion. L'une d'entre elles fut d'ailleurs Cio-Cio-San lors de sa dernière Butterfly à Calais. Les mots compétence, gentillesse et générosité reviennent sans cesse dans leurs propos, et s'il est possible qu'il ait quelque peu forcé sa voix, il n'abîma jamais celle d'un de ses élèves. Soucieux de tout transmettre, il avait aussi monté une petite troupe avec eux, ce qui leur permettait de mieux connaître le "métier".
Et puis, il faut tout de même relativiser les avis par trop négatifs concernant ses aptitudes musicales. Car il ne se contenta pas du "grand" répertoire, il participa aussi à quelques créations. À l'exemple de L'Ultimo Selvaggio de Gian Carlo Menotti, dont la première mondiale eut lieu à Favart le 21 octobre 1963, sous la direction de Jean-Pierre Marty. Ou encore d'Antoine et Cléopâtre d'Emmanuel Bondeville, en 1974 à Rouen aux côtés de Viorica Cortez. Je ne peux croire un instant qu'un "dilettante" ait été choisi pour assurer des rôles dont il n'existait, par définition, aucune référence.