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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 00:55
Masterclass Patrizia Ciofi - La passion de transmettre.

10 février, concert de clôture.

 

Au fil des ans, les mots ont perdu leur sens originel, ont  été détournés de leur acception première. Et pour certains, l'on pourrait même écrire au fil des siècles. Ainsi, l'emploi du terme "aristocratie" et de ses dérivés n'est pas sans danger, la confusion avec une hiérarchie de classes amenant une critique assassine, hurlant au mieux à l'élitisme, au pire à la discrimination. Pourtant, l'étymologie est claire. Aristocratie : Gouvernement (ou pouvoir) donné aux "meilleurs". Il faut lire l'opuscule de Vladimir Volkoff, paru en 2004, Pourquoi je serais plutôt aristocrate, pour comprendre que ce mot ne doit être associé ni à la particule, ni au compte en banque, ni à la notoriété mais désigne une façon d'être, d'agir, de se comporter avec pour seul horizon ce qu'il résume joliment par une formule : la passion de la qualité. Pour Volkoff, est "aristocrate" toute personne qui consacre sa vie à cultiver cette passion, et surtout à la transmettre. Pour de multiples raisons, cette définition donnée par ce grand écrivain m'est apparue comme lumineuse, en suivant la Masterclass donnée par Patrizia Ciofi il y a quelques semaines.

Le lieu où elle s'est déroulée, tout d'abord, est à lui seul une illustration de son propos. Comment imaginer plus belle résonance de cette "aristocratie culturelle" émigrée, importée, transportée et surtout assimilée que le Conservatoire Rachmaninoff ? Saint-Petersbourg parlait français depuis le XVIIIème siècle, Pouchkine, s'exprimant mieux en français qu'en russe était surnommé "Le Français". Et dans Guerre et Paix, Tolstoï va jusqu'à dire du Prince Pierre Bézoukhov que "Bien que né en Russie, il pense en français". En 1917, Paris n'était rien moins que la capitale culturelle du monde, et devint le refuge naturel de ceux qui durent (et purent) fuir, dans la triste contrainte de l'exil, l'atroce calamité bolchévique. Ce "socialisme" n'avait que faire de la finesse, de l'élégance, de l'érudition, de la courtoisie, de l'art de vivre, bref de "l'aristocratie" de ces princes de l'élévation, de ces passionnés de l'excellence. Parmi eux se trouvaient Glazounov, Gretchaninov, Chaliapine, Tcherepnine et bien entendu Rachmaninoff, qui fut le premier président d'honneur du Conservatoire fondé en 1923 et qui allait porter son nom, investissant le bâtiment situé alors Avenue de Tokyo, qui avait succédé au Quai Debilly.

Un lieu ne serait rien sans ceux qui le font vivre, et cette passion de la qualité est incarnée aujourd'hui par le Comte Pierre Cheremetieff, recteur du Conservatoire et Président de la Société musicale russe en France qui le gère. Lui aussi fait partie d'une très grande famille qui s'illustra dès le XVIème  siècle dans la vie politique, militaire et artistique russe, et que le prétendu "Grand Soir" chassa de son pays. En l'écoutant, dans sa souriante simplicité "aristocratique", on comprend tout ce que la France a pu gagner de ce douloureux exil...

Avoir confié le poste de Directeur Artistique de l'Académie de Chant du Conservatoire à Siegfried Bernard-Polvara est une preuve supplémentaire de cette constante recherche de la qualité. Outre ses talents d'artiste lyrique, de pédagogue et même de peintre, il a en effet de très bonnes idées et, surtout, il sait comment les concrétiser. Renouer avec la tradition en était une, des musiciens aussi prestigieux qu'Horowitz, Milstein ou Platigorsky ayant jadis, par l'intermédiaire de concerts, fait profiter les étudiants de leur savoir et de leur génie. Alors, l'organisation de Masterclasses s'est imposée et, quitte à viser l'excellence, autant marquer les esprits et placer d'emblée la barre très haut en invitant Patrizia Ciofi.

On connaît la cantatrice, l'artiste absolue, généreuse, aimant (et relevant) les défis, modèle d'incarnation de tant de rôles qu'elle a fait siens. On sait qu'avec elle, il se passe toujours quelque chose de marquant et de souvent inoubliable. Mais là, on découvre la pédagogue. Et les exemples sont nombreux d'immenses chanteurs ayant été incapables de transmettre leur art, car ne sachant pas écouter. Persuadés que ce qui était bon pour eux l'était pour tous, ils ne se préoccupaient guère des spécificités des étudiants qu'ils devaient aider. Patrizia Ciofi ne cherche pas à faire de chaque jeune soprano qu'elle rencontre un clone de Patrizia Ciofi. Elle commence par écouter, par tout écouter, et d'abord les qualités des voix qui se présentent devant elle. Six artistes, cinq femmes et un homme, ont été sélectionnés sur audition, gage d'une base technique solide. Mais dès les premières notes, après une interprétation intégrale d'un air, tout est remis à plat. Toujours souriante, toujours dans la confiance, Patrizia ne laisse rien passer. Telle phrase semble maîtrisée ? Non, il y a ce petit détail, cette infime modification du placement, cette voyelle qui n'est plus tout à fait "dans la couleur", cette consonne trop accentuée...Et l'on reprend, le temps qu'il faut, avec toujours ce petit mot d'encouragement qui amène la progression.  Le soin apporté au travail sur les récitatifs est à cet égard un modèle du genre. Que seraient les opéras de Mozart sans ce "théâtre chanté" si sublimement ciselé par le compositeur et ses librettistes ? Que faire de ce qui précède l'air de Farnace de Mitridate ? Là, le "métier" est essentiel, et l'on sait quelle "comédienne" est Patrizia Ciofi. En travaillant sur le débit du phrasé, sur l'accent tonique, sur LE mot important, elle transforme en quelques dizaines de minutes un passage de vingt secondes sacrifié en vrai moment de théâtre et, face à elle, on "devient" Farnace, l'aria Son reo, l'error confesso pouvant s'enchaîner presque facilement. 

Associée à ce sens aiguisé du détail, cette capacité à s'oublier, à mettre de côté ses propres certitudes, à "entrer dans la peau" de son élève d'un jour forment une espèce d'alchimie permettant de travailler sur des airs ou des choix d'interprétations parfois discutables. Ainsi, Pace, pace mio Dio est peut-être un peu lourd pour la voix actuelle de Jeanne Monteilhet. Mais il n'est pas question de chanter le rôle sur une scène demain, et Patrizia le sait. Plutôt que de lui dire un cruel "Non, prends autre chose, ce n'est pas pour toi", elle cherche au contraire à mettre en valeur ce qui, dans ce choix, peut lui être bénéfique : legato, phrasé, place de la voix assurant une parfaite égalité des registres. De même, je ne suis pas certain qu'elle aurait opté pour les mêmes variations qu'Alessia Thais Berardi dans l'air de Rosina, variations parfois plus proches d'une Lakmé ou d'une Olympia que d'une malicieuse pupille rossinienne d'un vieux dottore libidineux. Mais là encore, elle ne jugera pas cette option stylistique mais insistera sur la  caractérisation du personnage, le sens de chaque phrase, voire de chaque mot, la recherche de la simplicité (donner l'illusion de la facilité), le sens profond de la colorature qui  n'est jamais démonstrative, mais toujours une marque de  féminité et de malice.

Moments parmi tant d'autres d'un travail en profondeur, toujours réalisé avec un grand sourire qui, encore une fois, n'est pas synonyme de complaisance. Car non seulement Patrizia ne laisse rien passer, mais elle donne l'exemple sans jamais pousser la voix de façon ostentatoire, et le résultat parle à chaque fois de lui-même (ah...cette ligne de chant, ce legato, ce timbre unique, même dans le murmure...), et elle y joint le geste. Plus même que le geste, une sorte de chorégraphie. Il faut la voir suggérer un phrasé, une conduite du souffle par un mouvement de bras ou un changement de position pour comprendre que son enseignement passe aussi par la danse. Là où les mots ne suffisent plus, le langage du corps éclaire le propos. Et chez elle, ce n'est en rien une "mise en scène de prof en démonstration", mais une aide "visuelle" qui, dans la seconde, produit le résultat escompté. On n'imagine pas ce qu'une sinusoïde, une vague ou une ligne droite dessinées par un simple bras peuvent suggérer, et comment elles peuvent "débloquer" un passage jusqu'alors mal  négocié. L'art pédagogique de Patrizia Ciofi rejoint son art du chant, le langage corporel accompagnant la voix, comme une clé d'interprétation et non pas comme une illustration redondante. Et elle y ajoute le contact physique, vérifiant un diaphragme, ouvrant une mâchoire, prenant l'élève dans ses  bras, à la fois pour le contrôler et pour lui transmettre son incroyable énergie. Oui, du très grand art.

Du très grand art parce que tout cela ne serait que verbiage s'il n'y avait les résultats audibles lors du concert de clôture de cette Masterclass. Les progrès réalisés par tous en moins d'une semaine sont simplement fulgurants. Certes, la matière était là, et bien là, mais j'ai pu sentir à quel point ces quelques jours avaient libéré chacun des participants, en plus de leur avoir appris beaucoup, dont deux ou trois choses qu'ils n'oublieront jamais. Et ils pourront aussi remercier Marie-Christine Goueffon, qui fut pour eux bien plus qu'une pianiste-accompagnatrice : une partenaire.

Joachim Coffinier, élève de Siegfried Bernard-Polvara, n'a que dix-neuf ans et, déjà, une qualité essentielle : il chante avec sa voix, et non avec celle qu'il souhaiterait avoir. Il a choisi Mozart pour sa participation au florilège final, avec la sérénade de Don Giovanni et le Non più andrai de Figaro. Le  timbre va se corser, la résonance viendra d'elle-même mais le caractère, la faconde, et presque même l'aisance sont déjà bien en place.

Clémence Faber a déjà une solide expérience, acquise notamment au Royal Conservatoire of Scotland où elle a étudié, et chanté différents extraits des rôles de Dorabella, Sesto ou Angelina, entre autres. Une Angelina dont elle interprèta le rondo final avec une aisance dans la colorature qui impressionna même Patrizia Ciofi ("On aimerait toutes pouvoir vocaliser ainsi sans aucun mouvement parasite, sans que rien ne bouge !"), ainsi que le terrifiant Amour, viens rendre à mon âme de l'Orphée de Gluck, admirablement maîtrisé. Déjà bien rompue, elle aussi, à l'art de la scène et du concert, en travaillant avec le Concert Spirituel, le Balcon ou Opera Fuoco, Julie Prola se lance crânement dans Donna Elvira, mettant en évidence tous les progrès que Patrizia lui a permis de réaliser en quelques jours.

Alessia Thais Berardi a elle aussi déjà fait ses preuves sur scène (Papagena). Pour le concert final, elle laisse de côté Rosina pour aller puiser dans ce qui est peut-être son véritable répertoire, au stade actuel de sa carrière. Une délicieuse Blondchen et, surtout, un Non, Monsieur mon mari des Mamelles de Tiresias ébouriffant d'espièglerie et montrant sa parfaite connaissance de la langue française, lui permettent tous les sous-entendus dans un air où le texte est essentiel. Plus spécialisée dans le répertoire baroque et particulièrement l'oratorio, Jeanne Monteilhet "devient" Didon, avec un When i am laid bouleversant, vécu, intense. Incontestablement, son travail sur le Porgi amor de la Contessa a porté ses fruits, notamment sur le legato.

Mais on me pardonnera un coup de coeur personnel, qui ne signifie absolument pas une préférence ni l'établissement d'une hiérarchie, tous les intervenants ayant démontré des qualités qui peuvent leur permettre de porter beaucoup d'espoir dans l'avenir. Louise Thomas, à vingt-deux ans, était la plus jeune des cantatrices présentes lors de ces journées. Élève au Conservatoire de Pantin depuis cet automne, elle ne s'est pas encore, à ma connaissance, confrontée à un "vrai" public, je veux dire un public qui peut parfois se montrer cruel. Eh bien, d'ici peu, elle pourra le faire en toute confiance ! Pour formuler les choses simplement, dès la première phrase de l'air des Larmes de Charlotte, on constate qu'elle possède ce petit quelque chose qui fait que l'on se dit "mais elle a tout !". La voix, superbement colorée de tonalités de cuivre sombre, est émise avec un naturel confondant et une facilité qui déconcerte, jamais forcée et parfaitement contrôlée. Tout juste pourrait-on souhaiter qu'elle libère un peu son aigu, mais je mets cette infime réserve sur le compte d'un léger trac bien compréhensible. Et il faut oser, à cet âge, se lancer dans cet air bref mais qui ne pardonne rien. Que dire, alors, d'un Amour, viens aider ma faiblesse de Dalila tout aussi bluffant, porté par un souffle paraissant inépuisable ? Dans ces deux airs, le legato est un modèle du genre et, en plus, la prononciation serait à montrer en exemple à bien des titulaires reconnues présentes sur les grandes scènes. Non, je n'exagère pas, j'ai vraiment entendu le saxophone derrière les Larmes tant la richesse du timbre le faisait apparaître. Et non, je n'exagère pas non plus en prenant le pari que, si le système ne la bouffe pas (et sa maturité, malgré son âge, me laisse penser qu'elle ne se laisserait pas faire), une vraie "mezzo sombre" est née et que l'on reparlera d'elle quand son temps sera venu. Qu'elle ne brûle pas les étapes, surtout, ce temps pourrait arriver très vite. Elle n'a, et c'est un euphémisme, pas grand chose à envier à bien des mezzos s'étant présentées aux "Voix nouvelles"...

Une fois souligné que, là encore, comme dans de nombreux concours, comme lors de la Masterclass de Karine Deshayes que j'avais évoquée l'an passé, l'on est en droit de se demander où sont passées les voix d'hommes, un constat s'impose. Un vivier est là, prêt à faire briller cet art sublime. Et Patrizia Ciofi ne s'y est pas trompée, en les remerciant de lui avoir apporté beaucoup, elle qui leur a tant donné durant cette semaine, sans compter son temps (je ne sais pas, Patrizia, si tu connais le sens de l'expression "faire une pause" !). Mais elle sait aussi combien ce métier est exigeant, difficile, injuste parfois, cruel souvent. Alors oui, les talents sont là, évidents, mais ils ne sauraient suffire sans un travail de tous les instants, dans un domaine où même lorsque l'on se trouve en haut de l'affiche, on n'est pas pour autant "installé" et où tout peut s'écrouler en une soirée. Le message est passé, toujours transmis dans le sourire et la véritable bienveillance. Grâce à Patrizia, grâce à Marie-Christine, grâce au Comte Pierre Cheremetieff, grâce à Siegfried Bernard-Polvara et grâce à ces six artistes, la passion de la qualité a régné durant une semaine, offrant un parfum de ce qu'est la véritable aristocratie chère à Volkoff, qui aurait aimé plus que tout cette recherche de l'excellence...qui fut plus d'une fois atteinte. Un Volkoff lui aussi descendant d'émigrés russes, et accessoirement petit-neveu  de Tchaïkovski. Cette véritable aristocratie, faite de transmission, ne connaît pas le hasard. Et quelque chose me dit que l'expérience sera renouvelée, et que les maîtres d'oeuvre seront, eux aussi, de prestigieux aristocrates...

 

© Franz Muzzano - Mars 2018. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

 

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23 juin 2016 4 23 /06 /juin /2016 00:12
L'Art contre le silence ou les voix du coeur.

Le 12 mars dernier, l'Association Stop aux Violences Sexuelles avait déjà réussi à remplir l'église Saint-Antoine des Quinze-Vingts, avec un concert de musique sacrée dont la pièce maîtresse était un magnifique Requiem de Gabriel Fauré. Souvenez-vous...

Je terminais ce compte-rendu en vous donnant rendez-vous le 13 juin au Théâtre Antoine, pour une soirée lyrique "surprise". Car il y a plusieurs façons de dénoncer un fléau, et si le recueillement en est une, le rire intelligent amenant la réflexion et, pour tout dire, la fête, en sont une autre. Et le moins que l'on puisse dire est que la soirée a été belle. Belle, et très intelligemmeent conçue.

Si l'Association lutte contre toutes formes de violences sexuelles, l'accent fut mis ce soir-là plus particulièrement sur les agressions faites aux enfants. Dénoncer, "agir contre le silence" devient une évidence quand on sait que des dizaines de milliers d'enfants sont agressés quotidiennement dans notre pays, dans tous milieux et très souvent dans un contexte intra-familial. On estime qu'une femme sur quatre et un homme sur six sont victimes d'agressions sexuelles au moins une fois dans leur vie. Froideur des statistiques, mais réalité glaçante. Regardons autour de nous, parmi nos proches. Si nous-même n'avons pas été touché, nous avons tous une famille, des amis, des collègues, des voisins. Parfois, nous avons du mal à comprendre certaines réactions, certaines attitudes, certains regards tristes. Une femme sur quatre, un homme sur six...Et si ce foutu silence pouvait être brisé ? Parce qu'à l'évidence, à moins de vivre en ermite, nous côtoyons, parfois même au quotidien, une victime qui s'est tue, et continue à se taire. Et dont la vie a été, sinon brisée, au moins profondément marquée par des dégâts difficilement réparables. Nul ne changera les hommes, pervers et malades ne seront jamais éliminés. Mais il est essentiel d'informer, de libérer la parole, de tuer le silence. Et sensibiliser par l'Art est le plus beau des moyens. Toute une équipe d'artistes s'est donc retrouvée pour offrir un peu de leur talent à l'Association présidée par le Docteur Violaine Guérin.

J'avais regretté (gentiment) l'absence de programme lors du concert de mars. Cette fois, l'oubli fut réparé. Et ce programme dit tout. Chaque artiste a droit à sa photographie mais, au lieu d'une brève présentation de "carrière", ce sont quelques mots concernant ce fléau qui sont proposés. Chacun oublie qui il est pour, à sa façon, dénoncer, témoigner, donner de l'espoir. Les individualités s'effacent au profit d'une équipe, et d'un projet commun. Projet qui fut conçu dans l'urgence, mais le professionnalisme et l'engagement de tous font que cette urgence ne se ressent jamais. Au contraire, tout apparaît parfaitement réglé, naturel, évident.

Personne, donc, n'a cherché à se mettre en avant. Mais rien n'aurait été possible sans l'immense travail d'Hélène Mayzou, grande organisatrice de la soirée. Elle a su, en peu de temps, trouver un angle, concevoir un programme, rassembler des artistes, dénicher des costumes...et donner les clés du spectacle à Karine Laleu, metteur en scène et dramaturge. Car il ne s'agit pas d'offrir une simple compilation d'airs ou de scènes tirés d'ouvrages lyriques, mais de donner un "vrai" spectacle, sur la thématique des contes de fées. Sans tomber dans une approche psychanalytique, elle a cherché, parfois en utilisant les versions originales censurées des contes, à montrer ce qu'ils pouvaient contenir de violences, évidentes ou cachées. La Belle au Bois dormant, Peau d'Âne, Jeannot et Margot (version française d'Hänsel und Gretel) ou Le Petit Chaperon Rouge sont ainsi illustrés et mis en scène, avec la complicité des comédiens Virginie Lemoine (marraine de l'édition 2016), Lionel Fernandez et Éric Genovese.

Tous les artistes sont à citer, tous ayant contribué à la réalisation d'une soirée magique et joyeuse autour d'un sujet grave. "Rire et chanter contre le silence", en quelque sorte. Karine Deshayes, marraine de l'Association, ouvrit les festivités avec sa fantastique Rosina du Barbiere, revenant plus tard pour deux duos avec sa complice Delphine Haidan. Et, accompagnés par les pianistes Florence Boissolle et Thuy Anh Vuong, voilà le contre-ténor Bertrand Dazin, seul dans Rinaldo ou en duo avec Olivia Doray dans un extrait du Midsummer Night's Dream de Britten. Une Olivia Doray que je découvrais, et qui devrait faire très vite parler d'elle, tant elle fut magnifique dans l'Air de la Tour tiré du Turn of the Screw du même Britten ou dans le Je veux vivre de Roméo. Avant de littéralement péter un câble en balançant un Libérée, délivrée ! déjanté au moment où elle sort des entrailles du loup. Une voix, et une nature. Tout comme Chiara Skertath, aussi à son aise dans les Conseils de la fée Lilas de Peau d'Âne que dans Après un rêve de Fauré et, surtout, dans une superlative Prière à la Lune de Rusalka. Marie Kalinine offrit une superbe mélodie de Moussorgski, et Florian Sempey un magistral Erlkönig suivi, un peu plus tard, de l'air de Valentin. Virgile Frannais s'amusa de la Ballade de la Reine Mab après avoir chanté l'Ogre dans une oeuvre qui mérite absolument d'être redécouverte dans son intégralité, Le Petit Poucet de Laurent de Rillé, créé au théâtre de l'Athénée en 1868, et dont Marie Kalinine chanta aussi un Rondeau. Et l'impayable Doris Lamprecht mit le public à ses pieds en Sorcière d'Hänsel und Gretel. Je n'oublie pas la flûtiste Isabelle Pierre, accompagnant l'Air de la Tour après avoir superbement interprété le Prélude à l'après-midi d'un faune. Toute la troupe se retrouvant pour un délirant finale signé Kurt Weill.

J'ai bien conscience que l'énumération de ces oeuvres peut être fastidieuse, sorties de leur contexte scénique tel que Karine Laleu et Hélène Mayzou l'ont construit. Mais je ne vois pas d'autre moyen de saluer tous ces artistes qui, encore une fois, ont donné de leur temps pour cette belle cause. Et ont réussi, dans un délai très court, à présenter un spectacle sans le moindre accroc. Au lecteur, maintenant, de trouver ce qui, dans ces pièces, peut se rapporter au fil conducteur de cette soirée jubilatoire, par sa qualité musicale et, peut-être surtout, par l'immense bouffée d'espoir que le sens du partage de ces magnifiques musiciens a transmis à tout un théâtre, et au-delà. Non, les vrais, les grands artistes ne vivent pas dans leur bulle égoïste. La preuve est faite, s'il en était besoin. Merci à eux. Et à l'année prochaine !

 

Rappel :

Crédit photo © Marie-Odile Refford.

 

© Franz Muzzano - Juin 2016. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés. 

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16 juin 2016 4 16 /06 /juin /2016 01:49
Master Class de Karine Deshayes - L'après-midi d'une révélatrice.

Au bon vieux temps de la photographie argentique, le développement des clichés impliquait deux produits indispensables : le révélateur, précédant le fixateur. Chacune des deux opérations nécessitant un temps plus ou moins long, et imposant des rinçages. La comparaison avec une Master Class de chant peut sembler saugrenue. Elle ne l'est pas, surtout quand on se rend compte que l'on peut parfois se trouver face à un procédé totalement inversé, le révélateur suivant le fixateur. Seul le rinçage reste de mise, prenant ici une dimension impressionnante.

Un conservatoire de la région parisienne a donc convié Karine Deshayes à animer une Master Class, en ce 15 juin, dans le superbe Salon Bouvier du Musée Carnavalet. Cadre magnifique pour cinq élèves de son Pôle Supérieur, leur permettant de présenter les airs qu'ils ont choisis, probablement en vue de concours à venir. Volontairement, je ne précise pas ici quel est ce conservatoire, et à une exception près, je ne citerai pas les participants, pour une raison très simple. Le constat qui fut le mien à l'issue de cette session est assez amer, et ni les chanteurs ni la structure qui les forme n'en sont vraiment responsables. Ce constat est simplement celui d'un certain enseignement du chant où les "fondamentaux" ne sont pas toujours totalement acquis, même au niveau supérieur. Le fait que les élèves en aient parfaitement conscience, ne se pensant absolument pas "arrivés" et sachant très bien qu'ils ont encore beaucoup de progrès techniques à réaliser n'y change rien. Ils se retrouvent à un stade dit "supérieur", et parfois ce qualificatif est pour le moins excessif.

Étonnamment, aucune voix masculine ne fut programmée. J'ai pensé un moment que cela était dû à une demande de Karine, mais il n'en était rien. Cinq jeunes femmes, donc, dont trois sopranos et deux mezzos, chacune proposant deux airs. Pour toutes le même procédé, Karine écoute le morceau en entier, sans intervenir, puis le travail commence. Avec une grande bienveillance et un sourire qui ne la quitte pas, elle décortique chaque phrase, chaque mot, chaque son. Mais le souci est que là où elle souhaiterait parler interprétation, elle se voit obligée de faire de la technique. Et c'est là qu'elle devient "révélatrice". À une exception près, sur ce plan-là, ses interlocutrices ne sont pas prêtes. Combien de voyelles fermées, de sons qui ne vibrent pas, de soutien insuffisant, de justesse approximative... pour ne rien dire de certaines caractérisations des personnages interprétés. Il faut reconnaître que personne n'avait donné dans la facilité (j'ignore si les morceaux sont choisis librement ou imposés par le cursus). Air de Thérèse des Mamelles de Tirésias (très bien "envoyé"), mais accompagné du Padre, germani d'Ilia tiré d'Idomeneo qui obligea Karine à très souvent "replacer" les sons. Un Ah, non giunge de La Sonnambula avec son récitatif et sa cabalette qui dépassait de très loin les moyens actuels de l'étudiante qui le proposa, et l'épuisa pour son Giunse alfin il momento...Deh vieni de Susanna qui suivit. Un Dove sono des Nozze donné sans nuance, tout comme Il est doux, il est bon de la Salomé d'Hérodiade, et de toute façon annoncé par un très lucide "Je ne sais pas si je vais le chanter, je n'y arrive pas". Faut-il rappeler la grande difficulté de cet air, qui fut le cauchemar de l'immense Lotte Lehmann durant toute sa carrière, ayant pleuré dessus durant des mois lorsqu'elle travaillait avec Etelka Gerster ? Et un Cruda sorte accompagnant l'air de Mignon donnés par la seule élève de deuxième année, pourtant étrangement timides, comme ne voulant pas "sortir"...L'attitude de ces quatre élèves face au public comme leur complicité immédiate avec une figure telle que Karine Deshayes me font exclure le trac pour expliquer ces lacunes. Simplement, Karine s'est donc trouvée dans l'obligation de parler "technique" durant quatre-vingt pour cent du temps qu'elle leur consacra, alors qu'elle aurait probablement préféré évoquer l'interprétation. Avec une double conséquence. La première fut la démonstration de ses qualités de "passeuse". Dans les quarante-cinq minutes accordées à chacune, elle parvint à corriger énormément de défauts. De par sa perception immédiate de ces failles, tout d'abord, qui lui permit de les pointer et de proposer les justes solutions. Et aussi par l'exemple, ne se ménageant pas pour montrer ce qu'était un son correctement placé, une voyelle justement colorée, une vocalise parfaitement distillée. En insistant sur le souffle (la base, pourtant...), rappelant que le chanteur était un "instrumentiste à vent" et qu'il ne fallait pas craindre de respirer. En rappelant qu'il fallait toujours chanter "libre". Ces quatre participantes ont terminé leur passage en ayant, toutes, sur plusieurs points fondamentaux, énormément progressé. Et c'est là qu'intervient la seconde conséquence, à mon sens beaucoup plus grave. En étant ainsi "révélatrice", elle a aussi, pour reprendre mon parallèle avec la photographie, fait acte de "rinçage". En nettoyant une partie du "fixateur" que le professeur des quatre étudiantes avait appliqué. De façon bien évidemment involontaire, Karine a démontré les limites de l'enseignement donné par cette personne, que j'ai entendue plusieurs fois dire "nous travaillons sur ce défaut depuis des mois". Oh, que je n'aurais pas aimé être à sa place, en me rendant compte qu'en trois quarts d'heure, le problème avait été résolu ! Avec des mots simples, des gestes clairs, des regards bienveillants, rien de plus. Durant quelques instants, Karine a amené chacune d'entre elles à un niveau réellement "supérieur". Puissent-elles en conserver ne serait-ce qu'une petite partie, et se souvenir de ces précieux conseils. Quant au dit professeur, il est peut-être trop tard pour qu'il remette son enseignement en question...

 

Master Class de Karine Deshayes - L'après-midi d'une révélatrice.

Rosine et...Rosine.

 

Mais il y avait une cinquième participante, et là nous partîmes dans un tout autre univers. Et elle, je vais la citer non pas pour diminuer le mérite des autres (toutes, encore une fois, portées par une véritable envie de progresser), mais parce que je pense qu'il est très possible que dans quelques années, son nom soit connu. Gwendoline Druesne, tout d'abord, en impose par son caractère. Il faut un aplomb certain pour proposer à Karine Deshayes, l'une des plus grandes Rosina actuelles, de lui faire travailler Una voce poco fa. Mais voilà, elle a, elle, et très largement, le niveau "supérieur". Voix longue (avec un aigu radieux), admirablement projetée, parfaite gestion du souffle, variation des couleurs sur des voyelles parfaitement placées, tout est techniquement en place (les quelques soucis audibles venant d'un problème de santé, qui l'empêcha de chanter son second air, Amour viens rendre à mon âme de l'Orphée de Gluck. Qu'aurait-on entendu si elle n'avait pas été malade...). Il fallait regarder Karine prendre quelques notes durant l'exécution de l'aria sans cesser de sourire, un sourire qui semblait dire "Enfin !!!". Et là, elle a pu parler interprétation, de Rosina à Rosina, un peu comme une grande soeur conseillant sa cadette. Sans jamais chercher à faire de Gwendoline une "autre Karine", elle a travaillé sur le personnage qui lui était présenté, avec par exemple de savoureux conseils sur le fameux "Ma...", des suggestions d'ornementations lors des reprises, des précisions sur les libertés qu'elle pouvait prendre. Et si, en toute fin de passage, elle a tout de même dû corriger une ou deux sonorités, l'état de santé de Gwendoline, visiblement fatiguée, en fut la seule raison. Un très grand moment de complicité.

Alors, sur les cinq étudiantes, était-elle l'arbre qui cache la forêt d'un enseignement quelque peu insuffisant ? Non...Tout simplement, elle travaille avec un autre professeur. Et la vérité oblige à dire que cela s'entend. De là à ce que je suggère aux quatre autres, quel que soit leur résultat au concours à venir, de changer de classe l'an prochain, il n'y a qu'un pas que j'ai très envie de franchir. Elles n'ont peut-être qu'une porte à pousser, si cela leur est possible.

Mais le plus important est que toutes auront pu bénéficier de moments qu'elles n'oublieront jamais, face à une Karine Deshayes qui n'est pas seulement une immense cantatrice, mais qui se montre aussi fantastique pédagogue. Les exemples qu'elle donne (et à pleine voix, qui plus est en grande forme, jusque dans Sonnambula ou en Comtesse, montrant une longueur de voix proprement confondante) ne sont jamais dans le "regarde comme je fais", mais toujours dans le "écoute comme je te propose de faire". Comme la grande Crespin, qui lui a transmis un jour une partie de son savoir, c'est elle aujourd'hui qui se mue en "passeuse". Et lorsque l'on parvient en si peu de temps à corriger ne serait-ce qu'un défaut pourtant bien ancré, tout est dit. Puisse ce qu'elle a "révélé" être aujourd'hui bien "fixé" chez ses peut-être futures collègues.

 

© Franz Muzzano - Juin 2016. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés. 

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27 mai 2016 5 27 /05 /mai /2016 02:02
Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

Il y a de nombreuses façons d'envisager une Master Class quand on est un artiste confirmé. On peut se poser en détenteur d'un savoir absolu, n'accepter que des chanteurs de très haut niveau et ne leur consacrer que vingt minutes autour d'un air que l'on va s'approprier en ne tenant pas compte de la personnalité de "l'élève". Élève qui quittera la scène sous les applaudissements d'un public venu pour voir une légende, et laissera la place au suivant qui, à son tour, contribuera à l'évocation d'anecdotes diverses et variées sur la carrière de la star adulée. Le lendemain, chacun pourra ajouter une ligne à son curriculum vitae, mais son expérience de la veille sera plus un souvenir heureux qu'un réel apport pédagogique. On peut aussi être plus attentif aux caractéristiques du jeune chanteur que l'on est supposé aider, et dans un temps tout aussi bref, tenter de suggérer deux ou trois choses qui pourraient le faire progresser, mais sans réellement avoir la possibilité d'approfondir. Et puis on peut oublier qui l'on est, et se préoccuper avant tout de ceux qui, durant deux jours, ont fait le choix de vous faire confiance. En venant parfois de très loin : de Thionville (et y retournant le samedi soir pour revenir le dimanche) et même de Sicile. Avec pour seule ligne de conduite un triptyque de trois verbes : écouter, transmettre, partager.

C'est ainsi que Richard Rittelmann a conçu et conduit sa Master Class des 21 et 22 mai derniers à Paris, en proposant deux journées de travail où l'échange fut permanent, dans un climat de confiance et de convivialité qu'il sut installer dès les premières minutes. Tout peut être résumé dans ses quelques mots qui introduisirent le petit concert final : "Vous n'êtes pas, pour moi, des élèves. Vous êtes des collègues". En disant cela, il ne sombrait pas dans un pédagogisme relativiste dévastateur, qui supposerait que les participants en savent autant que lui, loin de là. Simplement, il sait qu'un artiste, même après vingt ans de carrière (et comme il a débuté jeune, sa "carrière" est devant lui), même en ayant chanté avec les plus grands, doit toujours se remettre en question, doit toujours remettre l'ouvrage sur le métier. Et lui-même retrouve régulièrement la grande Sylvia Sass pour qu'une oreille extérieure le contrôle et, éventuellement, le corrige. Il sait que ce qu'il reçoit en retour de ce qu'il transmet est un enrichissement inestimable. Plus que d'enseignement, c'est bien de partage qu'il s'agit dans son cas. Et le résultat est simplement fulgurant. Oui, les participants pourront ajouter son nom dans leur curriculum vitae, eux aussi. Mais, surtout, ce qui leur aura été transmis durant ces deux jours restera gravé en eux à jamais.

Parce que lors d'une Master Class de Richard Rittelmann, on ne cherche pas d'abord à corriger les défauts d'une voix, on travaille sur ses qualités. Qualités que l'on s'applique à développer, à valoriser et, surtout, à bien faire accepter à "l'élève" comme étant des qualités. Et comme il a le don de les percevoir au bout de quelques phrases, il peut focaliser tout son temps dessus. En procédant ainsi, les défauts disparaissent peu à peu, par un simple effet d'équilibre.

Parce que lors d'une Master Class de Richard Rittelmann, on ne parle pas "technique", on en fait tout naturellement. Le chant sur le souffle étant acquis par tous, il peut proposer des vocalises adaptées à chacun, qui en quelques minutes parviennent à "décoincer" une zone critique, à totalement libérer une voix. Son travail sur les voyelles "sempre legato" est un modèle du genre, toujours sul fiato. Et pas un instant ce passage obligé du travail vocal n'apparaît fastidieux, tant le résultat est immédiatement audible.

Parce que lors d'une Master Class de Richard Rittelmann, on ne se trouve pas en face d'un professeur usant d'images complexes, voire incompréhensibles, ou de comparaisons saugrenues pour se faire comprendre. Au contraire, son vocabulaire est des plus simple, mais toujours juste, toujours à propos. Le message passe du premier coup, même si le résultat n'est pas de suite probant. "L'élève" a compris, il faut que son corps reproduise. Mais le plus important est qu'il a de suite intégré ce qui lui était dit. Une fois la fatigue envolée, la voix répond. Tout simplement.

Parce que lors d'une Master Clas de Richard Rittelmann, on n'est pas inhibé par un professeur qui ne cesserait pas de donner l'exemple à pleine voix en disant "fais comme ça". S'il a en tout et pour tout réellement "chanté" quatre fois lors de ces deux jours, et j'inclus sa participation au concert final, c'est un grand maximum. Ce n'est pas sa propre voix qui l'intéresse, mais celle de la personne qu'il cherche à emmener quelque part, là où elle va trouver "sa" voix. Alors il suggère, toujours piano, une couleur, une ligne de chant, une articulation, un phrasé. En cherchant à devenir "l'autre", jamais en imposant.

Ainsi, lors d'une Master Class de Richard Rittelmann, on peut voir David s'attaquer au Comte des Nozze en proposant un fier hai gia vinta la causa bien maîtrisé, mais encore un peu scolaire le samedi. La barre de mesure était reine, supplantant le texte et le personnage. Et puis vint le dimanche, et après être sorti quelques minutes, je revins dans la salle, entrant d'abord dans la petite cuisine attenante. Cet air du Comte me parvint et je me dis "tiens, un autre chanteur n'est venu qu'aujourd'hui". Eh non, il s'agissait du même David, totalement transformé. Un aller-retour à Thionville et une nuit de sommeil avaient été suffisants pour qu'il intègre tout ce qui lui avait été dit la veille et, surtout, pour qu'il le reproduise. Almaviva était là, oubliant le solfège, concentré sur les mots et la couleur adéquats aux sentiments du personnage. Libéré. Tout comme il le fut dans le second air qu'il souhaitait travailler, une rareté absolue prouvant sa curiosité. Qui connaissait l'air de Pygmalion tiré de Galathée de Victor Massé ? Lui, et quelques rares musicologues. Et pour montrer à quel point le climat était à la confiance on le vit, lui qui semblait presque timide le premier jour, proposer d'interpréter en plus, pour le concert, le duo Pamina-Papageno. Il aura probablement plus appris (sans pour autant diminuer les mérites de son professeur, loin de là) sur lui-même en ces deux jours qu'en tout son cursus de conservatoire.

 

Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

David.

 

Ainsi, lors d'une Master Class de Richard Rittelmann, on fait la connaissance de Simona, déjà bien aguerrie, qui propose Giulietta et Elvira de Bellini, son "frère de Sicile". La voix est là, longue, joliment timbrée, mais elle se sait un peu "juste" dans le suraigu. Quelques mots suffiront (ainsi que l'intervention "musclée" de Frédéric, préparateur physique) pour que ces fichues notes sortent, lumineuses. Elle tient son Bellini, mais s'est aussi rendu compte que la largeur de sa voix pouvait lui permettre d'aborder des rôles plus lyriques. Piquante à souhait en Musetta, on entend nettement qu'elle pourrait, très vite, envisager de se tourner vers des rôles comme Amelia du Ballo. Et entre deux sessions, la voilà qui s'amuse à travailler le duo de Lakmé avec Béatrice Fontaine. Ou à passer de longues minutes à transpirer sur la prononciation du français, alors qu'elle n'en parle pas un mot, dans le but d'offrir, lors du concert final, sa version de La vie en rose. Il restera bien un accent italien très marqué, mais les progrès auront été considérables. Rarement il m'aura été donné de voir une telle envie, et même un tel besoin, de chanter.

 

 

 

 

Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

Simona.

 

Ainsi, lors d'une Master Class de Richard Rittelmann, on découvre Frédéric présentant des airs de basse, tels Infelice ! d'Ernani ou les interventions de Zaccaria dans Nabucco. Bien que gêné par une allergie aux pollens, il donne tout ce qu'il a tout en canalisant son énergie débordante. Ces deux jours auront permis d'apprécier, à travers lui, ce qu'est la "Méthode Rittelmann" : travailler sur les qualités plutôt que s'arrêter sur les défauts. Richard avait remarqué tout de suite un fort potentiel dans l'aigu, alors qu'il avait tendance à quelque peu écraser les graves. Résultat ? Tout en continuant à mettre en place Zaccaria, il l'amena à aborder Posa. Et le dimanche soir, Per me giunto résonna sans le moindre accroc. Il lui reste bien entendu un gros travail à accomplir, mais il a probablement trouvé sa véritable tessiture. Sans trucage aucun, le plus naturellement du monde, sul fiato.

 

Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

Frédéric.

 

Et voilà...Une Master Class de Richard Rittelmann ne peut se terminer autrement que par un petit concert, avec sa part d'improvisation, mais où chacun a tenu à puiser au plus profond de lui-même pour offrir le meilleur, terminant par un Air du Toréador réunissant tous les participants. Et dans lequel Richard nous gratifia d'un superbe Oh vin dissipe ma tristesse d'Hamlet. Et où l'on put se rendre compte que celle qui avait tenu le rôle de l'accompagnatrice au piano durant ces deux jours était aussi, et plutôt surtout, une cantatrice de première classe. Il est pour moi inconcevable qu'une artiste comme Béatrice Fontaine ne se produise pas de façon régulière sur scène. Elle sembla s'amuser du O mio babbino caro comme du duo avec Papageno (qu'elle déchiffrait...). Mais j'affirme que son Vissi d'arte, qu'elle décida de chanter au dernier moment, ferait pâlir de jalousie beaucoup de titulaires du rôle de Tosca. Dans n'importe quel autre pays, elle serait programmée de façon régulière. France, que fais-tu de tes artistes...

 

Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

Béatrice Fontaine.

 

 

Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

Richard Rittelmann.

 

Il faut toujours des moments d'émotion. Ils nous furent donnés par Philippe Bohée, qui fit une très belle carrière que les aléas de la vie le contraignirent à suspendre. Mais il travaille toujours sa voix, et le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a rien perdu. Propriétaire du Théâtre-Cabaret "Les Rendez-Vous d'Ailleurs" où se tenait cette Master Class, il commença par dire son plaisir "d'entendre chanter ainsi dans ses murs", avant de reprendre ses habits de chanteur et d'offrir à son tour, le premier soir, au débotté, son propre Air du Comte des Nozze. Le lendemain, c'est avec un autre Comte, le Luna du Trovatore, qu'il s'invita au concert. Chapeau bas, l'artiste !

 

Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

Philippe Bohée.

 

À l'heure où l'on s'inquiète, à juste titre, de la fréquentation des salles, de la difficulté à amener un nouveau public vers les merveilles qu'offre l'Art Lyrique, certains ont compris qu'il ne fallait rien attendre du grand cirque médiatique et qu'il fallait se bouger. En 2015, Béatrice Fontaine et Frédéric Pfeferberg ont créé Lyricapassion, qui  propose stages et Master Classes. Un grand merci à eux pour avoir organisé ces deux journées qui furent, sur tous les plans, une totale réussite.

Et merci à Philippe Bohée pour son accueil chaleureux et pour sa gentillesse. Tiens, son théâtre est un lieu de convivialité, passez donc le voir si vous souhaitez lui proposer un spectacle, ou simplement si vous voulez passer un bon moment :

 

 

 

Et merci à Richard Rittelmann pour son professionnalisme, sa gentillesse, sa disponibilité...et tout simplement pour être l'artiste qu'il est.

 

Richard Rittelmann - La classe d'un Maître.

Contact : lyricapassion@gmail.com - Tel : 06 17 51 25 36.

 

Crédits photos © Medhat Soody

 

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1 mai 2016 7 01 /05 /mai /2016 23:09
Di Falco Quartet - Vivaldi revisité...et authentique.

Le 19 mars dernier, en me dirigeant vers la salle de spectacle où je croyais écouter du "Vivaldi version jazz", je pensais à Nikolaus Harnoncourt, récemment disparu. Je me disais que le rapport que j'avais entretenu avec lui datait des origines de ma passion, et qu'il était passé par tous les stades. La stupeur, la surprise, l'enthousiasme, l'idolâtrie, le questionnement, la critique, le rejet, le retour à la raison et, finalement, le constat très simple qu'il fut l'une des deux ou trois personnalités majeures du monde musical de ces cinquante dernières années. On peut le discuter, le contester, le combattre même, parfois, mais l'on ne peut nier qu'il nous fut indispensable sur au moins deux points : le retour à "l'essence" des oeuvres (d'autres avant lui l'avaient fait, bien entendu, mais lui l'a imposé) et, surtout, il nous a donné (rendu ?) une certaine forme de liberté face à ces mêmes oeuvres, que nous en soyons interprètes ou auditeurs. Le rapport avec le Di Falco Quartet vous échappe ? Ne vous inquiétez pas, il arrive.

Le souci que rencontra longtemps Harnoncourt est qu'il fut perçu comme un musicologue rigoriste engoncé dans ses certitudes, un violoncelliste passé de la fosse à l'estrade pour nous révéler LA vérité, et balayer d'un coup de baguette des décennies d'interprétation. C'est-à-dire l'absolu contraire de ce que furent ses démarches successives. En perpétuelle recherche, il cultivait le doute, la remise en question quotidienne et ignorait le mot "certitude". Mais voilà, comme tout précurseur, et a fortiori comme tout précurseur génial, il n'eut pas que des disciples. Il engendra, bien malgré lui, quantité de faussaires qui, se recommandant de lui en n'ayant rien compris à son message, cachèrent leurs insuffisances derrière le masque de la prétendue authenticité. Or, si Harnoncourt n'eut dans sa vie qu'une seule certitude, c'est bien que l'authenticité, concernant le (vaste) répertoire qui fut le sien, n'existe pas. C'est un leurre absolu. Il interprétait une musique du passé, oui, mais toujours dans le souci de nous la rendre "actuelle", de nous l'offrir dans l'éphémère du présent. En n'hésitant pas à utiliser des formations ou des voix différentes, en remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier. Et ce n'est pas "hier" qui l'intéressait, mais "maintenant". N'oublions jamais que lorsqu'il forma le Concentus Musicus, son but était de jouer de la musique contemporaine. Et par ailleurs, loin de pratiquer la politique de la tabula rasa que certains lui reprochèrent, il ne put donner à Salzburg un sublime Fidelio avec Kaufmann que parce que, des décennies plus tôt, il avait entendu l'immortel Florestan de Patzak déguster chaque mot sous la direction de chefs aussi mythiques que Karajan, Krauss ou Böhm. À l'évidence, il l'avait dans l'oreille. Certes, il s'aventura vers des terres qui ne lui étaient pas consanguines (son enregistrement studio d'Aida en est peut-être le meilleur exemple). Mais il tenta, chercha, et souvent trouva comment nous surprendre, et de fait nous dire "soyez libres !". Liberté qui impose l'exigence, certes, mais liberté d'oser dès qu'on en a les moyens. Ce qu'il fit, par exemple, en 1982 en publiant son premier enregistrement du Requiem de Mozart. Loin d'un effectif réduit, il nous proposait un Concentus Musicus au grand complet et des voix que l'on n'attendait pas forcément, pour un disque qui fit, à l'époque, l'effet d'une bombe. Certes, le fidèle Kurt Equiluz était là, montrant qu'il n'était pas qu'un Évangéliste de Passions. Mais à ses côtés, le jeune Robert Holl, futur Sachs, Gurnemanz et Marke à Bayreuth et, surtout, deux figures du Ring légendaire de Boulez et Chéreau, Ortrun Wenkel et Rachel Yakar. Une spécialiste du baroque, oui, mais donc aussi une Freia, et surtout une élève de Germaine Lubin. Et, accessoirement, la directrice d'un stage de perfectionnement en 2000 à Royaumont, où elle invita un certain Fabrice Di Falco...

Après ce concert, il m'est revenu en mémoire ces quelques réflexions concernant Harnoncourt, et j'ai pu constater une nouvelle fois que le hasard n'existe pas. Si Fabrice Di Falco suivit les cours de Liliane Mazeron au CNR de Boulogne-Billancourt, obtenant son premier prix de chant à l'unanimité en 1999, sa rencontre avec Rachel Yakar n'a pu que le conforter dans ses choix. Consciemment ou non, il y eut transmission de ce "vent de liberté" qu'il portait déjà en lui. Liberté de ne justement pas faire de choix sclérosant, lui qui pourrait tout à fait aujourd'hui envisager sa carrière à la manière d'un Franco Fagioli ou d'un Max Emanuel Cenčić, voire d'un Philippe Jaroussky qui lui doit une grande partie de sa vocation. N'a-t-il pas été Oberon du Midsummer Night's Dream de Britten un peu partout, jusqu'au Colon de Buenos Aires, Cupidon dans Semele, Sesto dans Giulio Cesare, Narciso dans Agrippina pour Haendel, ou encore Nerone pour Monteverdi ? Sans compter les multiples oeuvres contemporaines signées Lévinas, Henze, Campo ou Florence Baschet. De quoi s'installer dans un casier bien répertorié, catégorie "contre-ténor" ou "sopraniste"...classique. Oui mais voilà, comme il le dit lui-même, Fabrice Di Falco, de par sa double culture créole et sicilienne, est "le fruit de deux éruptions, la Montagne Pelée et l'Etna". D'un calme olympien à l'extérieur, il est en fait un volcan créatif qui ne peut pas se contenter d'une étiquette. Et très vite, il a perçu qu'entre jazz et musique baroque, il pouvait n'y avoir qu'une différence de façade. Et le moment est venu d'oser la comparaison avec Harnoncourt. Comparaison qui peut faire sourire à première vue, mais qui est bien réelle dans l'approche à la fois respectueuse et libre des oeuvres interprétées. À l'exemple du Stabat Mater de Vivaldi, dont les musicologues pourront nous dire la date de la première audition, la formation utilisée pour cette création, mais dont aucun ne sera sérieusement capable de nous affirmer ce que le compositeur "entendait" vraiment en lui-même le 18 mars 1712. Tombé dans l'oubli et redonné seulement en 1939, il est aisé de lui appliquer aujourd'hui les canons de la "musique baroque". Oui, mais l'on sait très bien qu'à cette époque, les compositeurs s'adaptaient aux moyens qui leur étaient offerts, en termes d'effectif vocal ou instrumental, comme en termes de durée voire de spatialisation. Qu'en reste-t-il ? Une ligne de chant, un instrumentarium "supposé" et une basse continue chiffrée et bien entendu non réalisée. Reproduire ce que l'on pense être ce qui fut entendu ce jour-là relève de la muséographie musicologique, et peut être tout à fait sublime. Mais rien n'interdit de se poser des questions et, à la manière d'un Harnoncourt, de chercher à s'approcher de l'esprit plutôt que de la lettre. Que "voulait" Vivaldi ? nous l'ignorons, nous ne connaissons que ce qu'il a "pu" faire. Alors avec les musiciens du Quartet, Fabrice Di Falco a, non pas adapté, ni même arrangé, mais "réalisé" un Stabat Mater tel que Vivaldi aurait pu le créer en 2016. Il faut bien écouter le résultat, il n'y a aucune trahison, aucune concession à une "mode". La mélodie est respectée, le découpage en trois parties est maintenu, mais c'est au niveau de l'accompagnement que de nouvelles couleurs se créent. Sans toucher aux enchaînements harmoniques, le trio reconstruit et développe un continuo très élaboré, introduisant des chorus (dont un, fabuleux, précédant l'Eja Mater qui n'est pas sans rappeler les délires contrôlés du Magma de la grande époque) qui ne sont, en fait, que des improvisations/ornementations sur ce qu'a écrit Vivaldi. Et très vite, on ne se dit plus "j'écoute le Stabat Mater de Vivaldi en version jazz", mais "j'écoute une version du Stabat Mater", tout simplement. Et c'est peut-être là que réside la véritable authenticité. Dans cette capacité à user de la liberté que nous donne la musique baroque "d'interpréter" sans déformer. En s'appropriant l'oeuvre sans jamais en trahir l'esprit, même et surtout dans ce qu'elle a de sacré. On sait que la foi de Vivaldi était réelle, même s'il renonça à son ministère tout en conservant son surnom de "Prêtre roux" et que sa vie privée fut assez éloignée des contraintes que ses voeux lui imposaient. La foi de Fabrice Di Falco est, elle, bien réelle, il ne m'en voudra pas de le préciser. Car cela me semble justement très important pour qualifier son interprétation, toute tournée vers le culte marial. Il va chercher des moments de prière durant tout l'ouvrage, même et surtout dans ses silences. Sans dolorisme aucun, bien au contraire, mais en nous rappelant à quel point la pulsation baroque, même dans des tempi lents, peut (et doit) "swinguer". Et il n'est pas interdit de prier en dansant, et comme il ne s'en prive pas...

Mais pour parvenir à un tel résultat, donnant le sentiment que l'on redécouvre une oeuvre sans être choqué ni même dépaysé tant tout semble évident, il faut des musiciens de première force. Et Fabrice Di Falco a su s'entourer de pointures hors-catégorie. Avec au piano un Jonathan Goyvaertz (qui, accessoirement, est aussi guitariste) assurant la continuité harmonique tout en inventant une ornementation "en dialogue" et des solos toujours à-propos. À la contrebasse, un Erwan Ricordeau qui fait briller son instrument de mille feux sans jamais perdre sa ligne de basse continue, mais en l'agrémentant de sa pratique régulière du Soul-Jazz, du Modern-Jazz ou de l'Electro-Rock adaptée à ce type de Baroque-Jazz, et se fendant d'un chorus d'anthologie. Et aux percussions un magicien des sons, Aurélien Pasquet, qui parvient à faire chanter ses divers instruments tout en sachant laisser une juste place au silence, toujours en fonction du texte.

En ce soir du 19 mars, jour de la Saint-Joseph tout sauf anodin pour un concert à forte connotation mariale, le Di Falco Quartet avait réuni son public dans le lieu qui lui sert de salle de répétition, son "laboratoire", dans le quartier du Petit-Montrouge. Ils offraient en guise d'apéritif un extrait de la cantate Cessate omai cessate du même Vivaldi, une version (pour une fois, pour moi, audible...) de L'Ave Maria de Gounod (enfin, de Bach...). Puis, un passage de l'Ombra fedele anch'io de Riccardo Broschi, clin d'oeil à Farinelli, le Lascia ch´io pianga tiré de RinaldoGià dagli occhi il velo è tolto du Mitridate de Mozart (en hommage à Mickael Jackson) et une version quelque peu déjantée du Cold Song de Purcell. Pour finir, deux hommages au Chevalier de Saint-George, Penser sans pouvoir agir et une superbe berceuse, Dors, mon enfant. De quoi mettre en valeur la voix de Fabrice Di Falco, tour à tour contre-ténor et sopraniste pouvant nuancer du ppp au fortissimo grâce à une utilisation optimale des résonateurs, mais se plongeant parfois dans le registre de baryton, superbement coloré. Voire de ténor, le premier couplet de Dors, mon enfant se situant dans la très périlleuse zone de passage, ce qui permet d'admirer sa parfaite et totale maîtrise technique.

 

 

 

Le résultat est magistral. Musicalement parlant, bien entendu, mais surtout par la totale réussite d'un pari un peu fou. C'est, pour moi, surtout dans le Stabat Mater que cette fusion entre baroque et jazz est la plus aboutie, tout simplement peut-être parce que ces musiciens-là ont compris, et ont su montrer, que ces deux mondes sont très proches. Mais pour parvenir à une telle qualité, le talent ne suffit pas. Le travail, dans les plus petits détails, en répétition, a été gigantesque et leur force vient aussi que jamais l'on ne le ressent. Les amateurs de jazz ne seront pas dépaysés, et je conseille fortement aux baroqueux purs et durs d'aller écouter cet ensemble unique. Peut-être comprendront-ils alors une partie du véritable legs d'Harnoncourt, ce génie qui à ses heures perdues construisait des marionnettes pour mieux les laisser vivre, et se laisser surprendre par elles. Non, la musique n'est pas figée, même si elle doit être respectée. Elle doit être, et rester, vivante. Et pour l'éternité.

 

Pour les écouter (prochain concert le mardi 14 juin à 20 h 30) :

 

À la rentrée prochaine, ils seront de retour en résidence au Théâtre du Gymnase - Marie Bell.

Belle occasion d'entendre régulièrement un ensemble emmené par un artiste lyrique qui vient d'être promu, il y a tout juste un mois, au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur. Pour un musicien rendant régulièrement hommage au Chevalier de Saint-George, ce n'est après tout que justice.

Et il y a de fortes chances que je vous en reparle !

 

© Franz Muzzano - Mai 2016. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

 

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12 mars 2015 4 12 /03 /mars /2015 00:08
Quand Mahan Esfahani enflamme la Nouvelle Athènes.

Une conférence de presse à l'Hôtel Dosne-Thiers, Place Saint-Georges, en plein quartier de la Nouvelle Athènes, rien que pour le cadre, ça ne se refuse pas. Qu'elle soit donnée par le site de musique en ligne le plus exigeant, qualitativement parlant, est une raison supplémentaire d'y assister. Même si l'on est un peu noyé sous les chiffres, et que l'on décroche très vite face à un vocabulaire qui nous est étranger. On somnole, bercé par une vague de HD, de 24 bits, de Streamer, de DAC USB S/PDIF, de Flac 16-bits et autres Desktops. On se dit que tout cela est certainement remarquable, que l'on va très vite s'y mettre, gagné par l'enthousiasme général d'un public qui, lui, a l'avantage d'avoir tout compris. Ce que je comprends très vite, moi, est que le buffet est généreux, les toasts savoureux, le petit blanc bien fruité et frais juste comme il le faut. Et il m'a été annoncé un concert donné par un claveciniste un peu hors-normes mais, paraît-il, remarquable. Alors comme le luxueux salon dans lequel il va se produire jouxte celui abritant les précieuses victuailles, je vais m'asseoir.

 

À trente ans, Mahan Esfahani s'est déjà forgé une solide réputation de claveciniste, mais aussi d'organiste et de chef d'orchestre. Né en Iran, ayant grandi aux États-Unis et installé en Angleterre, son premier disque, consacré aux Sonates "Württemberg" de Carl Philipp Emanuel Bach fut couvert de lauriers, dont un Diapason d'or en mai dernier. Mais la France n'avait pas encore pensé à l'inviter. C'est donc dans ce cadre très "salon romantique", et devant un public de quelques dizaines de personnes, qu'il a donné son premier concert à Paris. J'aurais dû dire "quelques dizaines de privilégiés".

Parce que je n'oublierai pas de sitôt les soixante-dix minutes de musique offertes par cet artiste phénoménal (qui était supposé ne jouer que trois quarts-d'heure...). Un physique de gamin un peu lunaire, que l'on imaginerait plus abritant un génial concepteur de logiciels improbables oeuvrant seul dans une pièce confinée, sorte d'Harold Lloyd version geek, cache en fait un diabolique re-créateur, un sublime inventeur de sonorités, un déclencheur de déferlantes succédant aux caresses. Un musicien capable de faire, au sens propre du mot, "chanter" un instrument que l'on a rarement entendu aussi lyrique. Sans le moindre effet de manches, sans geste inutile.

Et pourtant, c'est peu dire que l'instrument qu'il eut à dompter ne fut pas digne de lui. Un Reinhard von Nagel de 1996, pourtant, aurait dû être un gage de qualité. Mais on sait ces instruments fragiles. Réglage incertain, humidité, souci d'harmonisation ? Ces sonorités aigres, ces basses timides et sans rondeur, cette sécheresse étaient bien loin du "bois qui chante", signature du célèbre facteur. Et plus grave, j'appris de Mahan lui-même à l'issue du concert que tout cela n'était rien au regard d'un clavier particulièrement dur et rétif. Et pourtant, pas une note n'a manqué, pas un accroc ne fut audible dans un programme où, pourtant, les difficultés se succédaient.

Difficultés, et surtout variété. Mahan Esfahani est inclassable, et ne conçoit pas le clavecin comme un instrument témoin d'un passé lointain. Il ose tout, même commencer le programme de ce premier concert français par une transcription du  Garden Rain de Toru Takemitsu, sorte d'impromptu impressionniste conjuguant la double influence de Messiaen (pour la construction et l'aspect faussement répétitif) et de Debussy (pour la magie des mélismes et des coloris). Il présente chaque pièce avec une touche d'humour, cocktail persan/british irrésistible, et quand il en vient à évoquer Bach, il ne parle pas d'un dieu inaccessible ni d'un architecte universel, il parle simplement de l'amour du beau. Et l'illustre par une interprétation fulgurante de lyrisme et de précision à la fois de la sixième Suite anglaise en ré mineur. Loin de la froideur clinique de certains baroqueux, dont il a digéré les apports, il n'hésite pas à faire chanter le Prélude grâce à un jeu legato que l'on pensait impossible sur cet instrument. L'Allemande et la Courante qui suivent offrent un modèle d'articulation dans un tempo infernal, et il parvient à y suggérer des nuances, alors que le clavecin, à moins de jouer sur les registrations, ne le permet pas. Un Bach vivant, espiègle (les Gavottes ! dont une sur le jeu de quatre pieds, sorte de malicieux écho), parfois osant presque une forme de romantisme (la Sarabande), et s'achevant sur une Gigue échevelée mais restant dansante. La danse, justement, qu'il ne quitte pas en proposant ensuite trois Danses roumaines de Bartok, où il s'amuse comme un gosse à faire se balancer des rythmes à cinq temps, ou en 9/8, qu'il accentue jusqu'à évoquer le jazz (on pense irrésistiblement au Dave Brubeck du Blue Rondo a la Turk). Scarlatti, Purcell et Rameau sont offerts en bis, témoins de sa capacité à "vivre" la musique de toutes les époques.

Maître ès musicalité et époustouflant virtuose, Mahan Esfahani est aussi le contraire d'une star. Faussement timide, humour oblige, il est la simplicité incarnée. D'ici très peu de temps, ce touche-à-tout génial aura la renommée mondiale qu'il mérite, j'en prends le pari. Et avec lui, nous sommes loin d'être au bout de nos surprises. On pourra d'ailleurs s'en rendre compte assez vite, le 11 mai prochain très précisément, quand sortira son disque Time Present and Time Past, où le titre résume tout ce qui nous attend. Même, et surtout, si vous croyez ne pas aimer le clavecin, je vous en reparlerai. Vous pouvez me faire confiance !

© Franz Muzzano - Mars 2015. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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Présentation

  • : Les Chroniques de Franz Muzzano
  • : Écrivain, musicien et diplômé d'Histoire de la Musique, j'ai la chance, depuis plus de 40 ans, de fréquenter les salles de concerts et les maisons d'opéras, et souvent aussi leurs coulisses. J'ai pu y rencontrer quantité d'artistes, des plus grands aux plus méconnus. Tous m'ont appris une chose : une passion n'a de valeur que si elle se partage. Partage que je vais tenter de vous transmettre à travers ces chroniques qui relateront les productions que j'ai pu voir ou entendre (l'art lyrique y tenant une grande place). Mais aussi les disques qui ont contribué à me former, tout comme les nouveautés qui me paraîtront marquantes (en bien ou en mal). J'évoquerai aussi certaines grandes figures du passé, que notre époque polluée par les "modes" a parfois totalement oubliées. Je vous proposerai aussi des réflexions sur des aspects plus généraux de la vie musicale. Tout cela dans un grand souci d'impartialité, mais en assumant une subjectivité revendiquée. Certaines chroniques pourront donc donner lieu à des échanges, des débats contradictoires, voire des affrontements qui pourront être virulents. Tant que nous resterons dans la courtoisie, les commentaires sont là pour ça. Et vous êtes les bienvenus pour y trouver matière à vous exprimer. En n'oubliant jamais que la musique n'est rien sans les artistes qui la font vivre et qui nous l'offrent. Car je fais mienne la phrase de Paul Valéry : "Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin d'artistes. Mais nous avons besoin de gens qui ont besoin d'artistes".
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