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19 avril 2013 5 19 /04 /avril /2013 21:21

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De très loin le meilleur film de l'inégal Louis Malle, et immense film tout court, Le Feu follet est aussi l'une des adaptations de roman les plus fidèles qui aient été tournées.

 

D'abord, et peut-être avant tout parce que le livre de Drieu La Rochelle est en soi une splendeur, témoignage du malaise de son auteur, de ses dégoûts, de ses aspirations déçues, de ses rêves, de son long chemin vers l'inéluctable. Et pour une fois, un roman n'est pas trahi ou détourné. Certes, le traumatisme inguérissable de Charleroi n'est pas comparable à ce que fut la tragédie algérienne (encore que...). Alain Leroy y a vécu l'enfer, s'y est senti trahi, abandonné, et en a gardé des copains OAS. Ici, les années folles sont remplacées par les derniers feux de l'existentialisme. Les amis d'autrefois, compagnons de maraudes ou de griseries, se sont embourgeoisés. Les femmes jadis aimées sont casées, vieillies, parfois toujours amoureuses. Et Alain n'en peut plus. Plus envie de mentir, de se mentir. L'alcool était un médicament qu'il savait être un piège, quatre mois de désintoxication à Versailles l'ont anesthésié. Dorothy est à New York, et n'en reviendra pas. Les bras de Lydia, au tout début du film, sont doux mais ne sauraient suffire. Alors, une dernière virée pour un ultime adieu à ses anciens compères, le retour à Versailles, et le coup fatal.

 

Pour comprendre Alain/Drieu, il faut relire le roman, et d'ailleurs toute son oeuvre teintée des mêmes constats (à l'exception de l'étrange et magnifique Beloukia, sorte de sublime griserie émergeant du grisâtre), en terminant par Récit secret, clé de tous ses écrits. Louis Malle a su voir l'écrivain maudit, sans les oeillères habituelles des créateurs/censeurs de son époque, et son empathie avec Alain n'est pas très loin d'être empathie avec Drieu. Alors il l'imagine fantôme déambulant dans le Paris des années 60. Superbement filmé, le Quartier Latin devient un village, les jardins sont magnifiés, les appartements somptueux. Mais tout cela est trop petit pour ce puissant porteur de rêves, ce faux dandy, ce vrai poète. Les autres essaient de le dérider, de l'aider avec leurs pauvres mots, et même de le séduire. Aucun ne le comprend, mais tous ont peur. Et ceux qui un jour ont vu un proche se balançant au bout d'une corde se poseront tous la même question : qu'aurais-je pu, qu'aurais-je dû faire ?

 

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Somptueusement mis en scène, ce film n'est pas à classer "Nouvelle Vague", malgré son auteur et sa sortie (16 octobre 1963). La scène d'ouverture, minimaliste, pourrait pourtant faire penser au Resnais de la première période. Mais Louis Malle ne s'enferme pas dans des codes, et ne craint pas la narration. Tout est clair, défini, simple, évident et généreux à la fois. Et même virtuose, quand il filme le monologue d'Alain en tournant autour de lui, pas comme l'aurait fait un Lelouch mais en cassant le rythme, à la manière d'un pianiste de blues qui déploierait librement son chant sur une main gauche imperturbable. De plus, il sait ce que filmer un visage veut dire. Il y a quelque chose du Cassavetes à venir dans ses gros plans sur les regards, sur les sourires. La photo de Ghislain Cloquet est finement travaillée, sans effet, naturelle, offrant un noir et blanc fataliste parfois proche de celui choisi par Allégret dans sa trilogie désespérée. Le choix de Satie pour la musique, utilisée avec parcimonie pour prolonger les silences et colorer les orages intérieurs est une idée judicieuse. Roman en or parfaitement adapté en mêlant la ligne claire de la "qualite française" et les recherches de la Nouvelle Vague dans ce qu'elle a de meilleur, à l'exemple du tournage en extérieurs, une équipe technique au service d'un tout. Place aux comédiens.

 

Ou plutôt "au" comédien, Le "feu follet", cette petite lumière flottant au-dessus de sa propre pierre tombale pour mieux s'y engloutir, c'est et ce sera à jamais Maurice Ronet. Acteur trop rare, mais à chaque fois depuis très proche d'Alain Leroy, jusque peut-être dans sa propre vie. Présent tout le long du film, il en fait à lui seul un chef-d'oeuvre. On croirait par moments regarder un documentaire sur un homme ayant demandé à ce que l'on filme ses dernières heures tant il apparaît vrai, tant il semble ne jamais jouer. Les qualificatifs quant à son interprétation manquent, on se contentera de dire qu'il EST tant Alain Leroy que la simple vision de certaines expressions en devient douloureuse.

 

 

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Difficile alors d'exister autour d'un tel monument, mais ce n'est finalement pas plus mal. Les autres ne doivent être que spectres qu'il vient saluer. Tous sont remarquables. Moreau n'a qu'un petit rôle (cadeau fait à Madame...), l'empêchant de trop accaparer la caméra. Mention spéciale à l'encore plus rare Bernard Noël, superbe, à Jacques Sereys et Alexandra Stewart, couple d'anciennes débauches aujourd'hui bien trop rangés, mais dont les visages trahissent l'émotion et le désespoir de ne rien pouvoir faire. Et à Lena Skerla, dernière amante ouvrant le film pour une histoire d'amour finissante tout droit sortie de l'univers de Drieu (on pense à Gilles), vouvoiement inclus.

 

Du très grand art, que Malle n'a plus jamais ne serait-ce qu'approché par la suite.

 

 

© Franz Muzzano - Avril 2013. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 21:08

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Jacqueline Delubac, Sacha Guitry.

 

 

Mis à part quelques indécrottables tristes sires aux yeux voilés par des préjugés idéologiques ou par leurs certitudes que tout dans l'art doit en premier lieu être hermétique, tout le monde a aujourd'hui compris que Sacha Guitry fut un immense homme de cinématographe, au sens où l'entendait Robert Bresson. Non, il ne s'est pas contenté de filmer ses propres pièces pour les fixer sur la pellicule, ou bien de se lancer dans de grandes fresques historiques didactiques. Il a au contraire très vite perçu qu'il pouvait jouer de la caméra comme d'un instrument de musique pour magnifier la mélodie de ses textes. Ou tout simplement pour s'amuser, voire jouer avec la censure. Redécouvert assez récemment, Bonne chance en est un merveilleux exemple.

 

Sorti le 20 septembre 1935, il n'est pas son premier film parlant. L'indispensable documentaire Ceux de chez nous et l'adaptation de son Pasteur l'avaient précédé. Mais il s'agit bien de son premier essai destiné au cinéma. Et déjà, même s'il se fait aider par le laborieux Fernand Rivers pour quelques aspects purement techniques, on sent que l'oeil du maître est là, celui qui réunit les trois qualités que l'on trouve très rarement chez un seul et même créateur : la mise en scène proprement dite, la réalisation visuelle et la direction d'acteurs. Le résultat donne une petite perle sans défaut dont l'argument est à la fois simple et délirant.

 

Une jeune blanchisseuse, Marie Muscat, sort de chez elle. Son voisin Claude Lepeltier, artiste peintre quinquagénaire, lui souhaite une bonne journée et, allez savoir pourquoi, bonne chance. Elle passe en effet une bonne journée, et se souvenant de ce qui lui a été lancé, décide d'acheter un billet de loterie. Dans le même temps, un bien pâle gratte-paier, Prosper (le mal nommé) la demande en mariage. Il lui faut une réponse le soir-même car il part pour treize jours de classes. Pressée et bousculée, Marie accepte. Elle va ensuite remercier son voisin, avec une proposition qui ne l'engage pas à grand chose : si elle gagne, ils partagent. Elle gagne...

 

Marie met son million de côté et, comme convenu, donne le sien à Claude. Le malin n'accepte qu'à une condition : ils passeront ces treize jours ensemble et lui se débrouillera pour dépenser au mieux son propre "gain" afin que le voyage soit pour elle inoubliable. Bien entendu, il l'aime. Mais comme elle est "promise", il assure qu'il va la jouer "frère et soeur".

 

Tu parles ! Voiture de luxe, fête surprise dans le village natal de Marie, croisière, Italie, Egypte, Monte-Carlo, casino...Le mariage aura bien lieu, mais pas avec le cher Prosper, qui s'est de toute façon déjà consolé ailleurs. Ce qui tombe très bien puisque Marie étant née de père inconnu, Claude avait proposé de l'adopter. Il n'allait tout de même pas épouser sa fille...

 

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C'est un film à double entrée. Car la cour que fait Guitry à Jacqueline Delubac, qui n'est pas en reste, n'est rien d'autre qu'une déclaration d'amour devant le public tout entier à la femme qu'il aime. Un cadeau qu'il lui offre. Mais c'est aussi un hymne au cinéma, qu'il découvre vraiment à travers ce film. Il en joue comme un gamin, débordant d'inventivité, allant même jusqu'à la distanciation dans la grande scène en voiture :

 

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- "Regardez Marie, quand je ne conduis pas plus vite que ça, ça ne vous donne pas l'impression d'être au cinéma ?
- Mais si !
- Et savez-vous comment les gens de cinéma s'y prennent pour faire ça ? Et bien, il paraît qu'ils mettent tout simplement leur appareil dans la voiture.
- Est-ce possible ? Mais et les paroles que l'on entend ?
- Et bien on m'a dit que les paroles, on les enregistrait ensuite en studio. Humm...c'est bien invraisemblable. D'ailleurs je dois vous avouer que je ne l'ai pas cru.

 

Un véritable cours de réalisation donné à Delubac, un film dans le film ! Et il se permet aussi un petit clin d'oeil au burlesque américain, lors d'une scène géniale où il s'essaie au golf. Après quelques tentatives infructueuses, son drive est si efficace que la balle part on ne sait où. L'image suivante est celle d'un télégramme disant à peu près : Journal de bord. Par 18 ° de longitude Nord et 24 ° de latitude Ouest, ai reçu une balle de golf sur la tête. Alain Gerbault.

 

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Pauline Carton, Jacqueline Delubac.

 

 

Le rythme annonce Le roman d'un tricheur, son absolu chef-d'oeuvre. Et tout pétille, tout est prétexte à sous-entendus coquins, évidemment dans la finesse. Avec un dialogue ciselé, dégusté, mis en valeur mélodieusement sans jamais être forcé. Bref du Guitry, le sommet de l'esprit français au XXème siècle, mort avec lui. Lui-même offre une composition fulgurante et à ses côtés, Delubac connaît ses limites et ne les dépasse pas. Et même, elle en joue. La fidèle Pauline Carton joue sa mère sans excès, Paul Dullac campe un maire tout droit sorti d'une prise avec Pagnol, et son dialoque avec le greffier joué par Rivers Cadet sonne comme improvisé. Quant à Prosper, joué par Numès Fils, il résume en une phrase tout ce que n'est pas Guitry, pulvérisant sa prétendue misogynie : Une femme c'est fait pour ranger la maison, torcher les enfants et obéir à son mari. 

 

1935, il y a une éternité. Et pourtant...Quoi de neuf ? Guitry !

 

 

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© Franz Muzzano - Avril 2013. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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12 avril 2013 5 12 /04 /avril /2013 23:20

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Raymond Aimos, Jean Gabin, Charles Vanel, Charles Dorat.

 

 

Il faut se méfier des étiquettes. Sous prétexte d'une sortie en septembre 1936, La belle équipe est catalogué comme "le" film par excellence du Front Populaire. La fin "optimiste" imposée par les distributeurs à Julien Duvivier est pour beaucoup dans cette légende, qui perdure encore aujourd'hui puisqu'à la suite d'un différend entre les ayants droit et René Château, le DVD a été retiré de la vente. L'éditeur privilégiait la conclusion heureuse, qui dénature totalement le scénario de Spaak et Duvivier. Les vieilles VHS et les diffusions télévisées sont donc des bénédictions !

 

Parce que l'été 36 n'est qu'un cadre. Oui, le monde ouvrier et le chômage sont montrés mais en fait, de quoi parle-t-on ? d'amitié, de travail, d'honneur, de fidélité. Et comme nous sommes chez Duvivier, de fatalité. De noire fatalité. Ce chef-d'oeuvre est un hymne à la parole donnée, aux "copains-frères" et en aucun cas un film récupérable. Sauf pour un certain imaginaire qui ne veut retenir que le salaud d'hôtelier ou le cochon de notaire, face aux "camarades".

Camarades ? pas un mot de politique, et le drapeau hissé par Raymond sur le toit de la bâtisse est tricolore, pas seulement rouge. La guerre d'Espagne ? la seule question est : pourquoi Mario s'est-il foutu dans une telle panade ?

On attaque avec des ouvrières joyeuses, fraîches, un malheureux apatride, des chômeurs débrouillards qui ne demandent qu'à bosser. Un scénariste d'aujourd'hui profiterait du gain à la loterie pour nous démontrer comment s'en tirer sans trop transpirer. Pas le genre de Spaak ou Duvivier. Les copains prévoient des projets solitaires, mais Jeannot propose le rêve : la guinguette commune, où chacun mettra la main à la pâte avec son propre talent, et surtout son travail. Un "Chez Nous".

S'ensuit la magnifique restauration d'une ruine, selon les rêves des frangins. Le film aurait pu s'arrêter là, nous aurions déjà été dans le prodigieux. Mais Duvivier est co-scénariste, et la belle histoire part dans le noir. Le départ de Jacques n'est pas innocent. Jeannot sait que le plus jeune de la bande est émoustillé. Il le sent au premier coup d'oeil, au premier sourire. Huguette est adoptée dans la bande en tant que fiancée de Mario. Féminine dans son apparence, elle se comporte en mec avec eux, et tout se passe bien. Pas de place pour un grain de sable, et Jacques le comprend très bien. Entre deux tentations, il choisit le Canada. Un de moins.

 

Mario est en sursis depuis le début. En 1936, il y avait déjà des sans-papiers, mais d'un tout autre acabit. Ceux-là n'étaient pas venus trouver un hypothétique Eldorado, mais cherchaient à se couler, à se fondre dans le pays qui les avait accueillis. Par le travail, et dans l'honneur. Il n'est pas expulsé, il doit partir. Avec Huguette. Deux, et même trois de moins.

 

Raymond est le parigot, celui qui retrouvait Paname en reniflant un ticket de métro un an plus tôt, dans La Bandera. Le sourire éternel de ceux qui n'ont rien ou presque, et qui vivent heureux avec ce "presque". Le coeur sur la main, le don de soi au bord des lèvres. Celui qui console, l'éternel optimiste, mais qui cache un secret que l'on ne saura pas. Pudeur et bonne humeur sont son art de vivre. Il est couvreur, c'est-à-dire celui qui permet à une maison d'être en sécurité, de pouvoir s'isoler. Il y a ceux qui fondent et ceux qui protègent. Son toit protège la tribu, et il sera le premier à vouloir le sauver lors de la tempête. Et c'est de tout là-haut qu'il dansera, jusqu'à en perdre l'équilibre. Quatre de moins. Mais celui-là n'était pas que couvreur. Il cimentait.

 

Car Charles, l'ancien, vit toujours dans le souvenir de Gina. N'ayant pu l'oublier, il semble être le moins joyeux de tous. Et elle revient, tombant sur Jeannot. Lui a probablement un peu trafiqué dans le temps. Le costard lui va trop bien, et ça colle trop facilement avec Gina pour qu'il en soit autrement. Mais cette époque est bien finie. Il est l'homme honnête et travailleur du Jour se lève à venir, et même s'il reste passionné, il sait se réfréner. Chef de bande d'évidence, pas par volonté. Mais "cétait pourtant une belle idée".

Gina va briser la fraternité entre Charles et lui, le poussant à bout. Car avec Spaak et Duvivier, tout cela ne pouvait pas finir en "belle idée" qui fonctionne.

 

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Jean Gabin, Charles Vanel.

 

 

La mise en scène est un pur bijou. L'alternance des scènes intimistes où tout est concentré sur un geste, une attitude, un regard et des grands tableaux de groupes à la Renoir ou à la René Clair est d'une fluidité telle que ce film a plus qu'une atmosphère, il a une odeur et un goût. Et sa mise en valeur des visages se souvient du muet, si proche. La photo de Jules Krüger est picturale, et la musique de Maurice Yvain sonne comme une suite de rengaines aigres-douces. Tout cela offre un écrin doré à d'exceptionnels comédiens.

 

Charpin est bouleversant en gendarmr débonnaire, et Jacques Baumer puant juste ce qu'il faut en notaire. Exceptionnelle de beauté et d'émotion, Marcelle Géniat est une grand-mère inoubliable. Il faut saluer avec tristesse le si prometteur Robert Lynen, ange foudroyé, et donner un immense coup de chapeau au monumental Raymond Cordy, qui semble improviser son rôle d'ivrogne.

Charles Dorat n'a pas beaucoup de scènes pour défendre Jacques, mais sa candeur est rafraîchissante. Micheline Cheirel et Raphaël Médina peuvent paraître un peu pâles, et c'est injuste. Tout simplement parce qu'ils jouent face à des géants.

 

 

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Marcelle Géniat, Jean Gabin.

 

 

Gina lança Viviane Romance, et elle eut bien du mal à se défaire de ce personnage. Mais en garce absolue, elle en fait le moins possible et on la hait dès son premier geste, sa première phrase. Une composition à méditer par celles qui aujourd'hui veulent jouer les parfaites salopes et en rajoutent des tonnes. Charles Vanel est fantastique en grand chêne foudroyé par ce roseau femelle. Il parvient à faire émerger de sa grande carcasse une fragilité telle qu'on a souvent envie de le gifler pour le réveiller.

 

Aimos le grand, Aimos le magnifique...Au panthéon des irremplacés avec Carette, Le Vigan et quelques autres. Le copain, le frère. Mais pourquoi tombe-t-il du toit, merde ! Bon, c'est vrai, il n'y aurait plus de film...

 

 

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Jean Gabin, Viviane Romance.

 

 

Et Gabin, dans ses années magiques...C'est effrayant de voir comme il a tout compris du cinéma, comment il utilise la caméra. Gestes réduits à l'essentiel, travail sur le visage (le départ de Mario et Huguette après la mort de Raymond, les derniers mots au gendarme, la danse avec grand-mère...) "créent" ce que sera l'acteur dans le cinéma mondial de l'après-guerre, avec Brando, Clift, Delon...et sans Stanislavski. D'instinct. Son génie apparaît peut-être de façon moins évidente que dans d'autres films de la même époque, tout simplement parce que nous sommes dans un film "choral". Et ce n'en est que plus exceptionnel.

 

 

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Il ne fallait pas désespérer le public (on ne disait pas encore Billancourt), alors il fut donc demandé à Duvivier de modifier le dénouement. Charles et Jeannot se réconciliaient, Gina filait comme une garce délaissée par deux mâles repus, et tout allait pouvoir se construire entre les deux copains. La guinguette ouvrait ses volets sous les joyeux triolets des accordéons et les rires des titilleurs de goujon. Les quarante heures rugissantes amenaient la foule des copains en bord de Marne. Mais pour Duvivier, été 36 ou pas été 36, la vie est désespérante et un film se termine mal. Jeannot a bien tué Charles, Jeannot se retrouve seul, responsable mais pas coupable. Mais "c'était pourtant une belle idée". Toute autre fin, en plus d'être un contre-sens, est un sacrilège.

 

 

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© Franz Muzzano - Avril 2013. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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29 mars 2013 5 29 /03 /mars /2013 00:25

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Raimu, Orane Demazis, Fernand Charpin.

 

 

Tout a été dit sur la Trilogie de Marcel Pagnol, entrée depuis bien longtemps dans le patrimoine culturel universel. Il ne s'agit pas ici pour moi d'en vanter une nouvelle fois les qualités, mais plutôt d'envisager un aspect plus rarement abordé, celui du traitement cinématographique proprement-dit.

 

Pagnol n'a réalisé que le seul troisième volet, César. Pour le "premier acte", Marius, il confia les clés de la technique à Alexandre Korda, cinéaste qui ne fit que passer en France, après avoir quitté sa Hongrie natale et travaillé à Vienne et Berlin, avant de rejoindre Hollywood et de s'installer à Londres. Il avait le métier, le scénario était écrit, on connaît la suite : un impeccable théâtre filmé.

 

Mais tout change avec Fanny. En 1932, Korda est déjà sous d'autres cieux et la réalisation est confiée à Marc Allégret, assisté de son frère Yves (et, accessoirement, de Pierre Prévert). Les relations entre Pagnol et lui seront assez difficiles durant tout le tournage pour une raison très simple. Si Korda était un parfait exécutant, totalement étranger à l'univers de Pagnol, et lui obéissant sans sourciller, Allégret est un jeune loup plein d'ambition artistique. Il n'a connu que le parlant en tant que réalisateur, mais s'est nourri du muet et n'a aucune envie de simplement mettre en place la pièce dans un cadre figé. De plus, il a déjà dirigé Raimu dans Mam'zelle Nitouche et Le blanc et le noir, ce qui va lui permettre d'avoir un allié possible sur le tournage. Ce qui ne sera pas du luxe, les conflits avec l'auteur amenant une ambiance parfois exécrable. Il parvient malgré tout à s'imposer, malgré la présence permanente de Pagnol à ses côtés, et le résultat donne ce qui est pour moi le meilleur volet de cette trilogie, et tout simplement l'un des plus grands films du cinéma français.

 

 

 

Car si la distribution est la même (à l'exception de Mouriès remplaçant Dullac, malade, en Escartefigue), il change toute l'équipe technique, en particulier les responsables de la photo et des décors, imposant même le jeune Henri Alekan comme assistant à l'image. Pour Marc Allégret, pas question de se contenter de filmer du théâtre. Il veut faire du "cinématographe", travailler sur la lumière, les mouvements de caméras et varier les plans. Il souhaite aussi mettre en valeur la fantastique équipe de comédiens qu'il a à sa disposition, sans pour autant les regarder jouer. Il demande, c'est une évidence quand on compare avec Marius, à Raimu ou Charpin de ne jamais en faire trop, d'être simplement César et Panisse. Avec de tels acteurs, ce parti-pris de naturel donne des moments d'émotion bouleversants dans les scènes intimistes, instillant une vraie chair à ce qui aurait pu n'être qu'un joli mélodrame. Quant à Fresnay, il lui offre en une scène, celle du retour, de quoi faire taire à jamais tous ses détracteurs, tous ceux qui le pensaient hors-sujet. Il filme sa fièvre, son désir retenu par obligation, sa colère rentrée avec une justesse et une précision extraordinaires.

 

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Pierre Fresnay.

 

Il faudrait étudier dans le détail toute la mise en scène proprement dite, les positions, les mouvements de chacun, le jeu des caméras et peut-être surtout saluer l'initiative (l'exigence ?) d'Allégret de beaucoup plus tourner en extérieurs. Une ou deux scènes de Marius avaient Marseille pour cadre, ici nous prenons beaucoup plus souvent l'air. Et de fait, nous avons droit à une leçon de travail sur la lumière, à un bain de soleil où viennent s'inviter des ombres toujours justifiées (je pense qu'Alekan y est pour quelque chose...). Avoir quitté les studios de Boulogne (après ceux de Joinville pour Marius) fut un coup de génie, qui culmine dans l'hallucinant travelling suivant Fanny sur la Canebière et jusqu'à Notre-Dame de la Garde. Immense moment de cinéma dont Duvivier se souviendra pour Pépé le Moko.

 

Mais il restait un problème. Et de taille, vu le titre du film. Si la distribution nous offre une telle galerie de géants que toute adaptation ultérieure s'est avérée au mieux médiocre (Raimu, Charpin, Fresnay, Rouffe, Delmont, Vattier ont littéralement "tué" les rôles), elle comporte une faille douloureuse. Qui mit Marc Allégret face à une sorte de défi impossible à relever. Avec la meilleure volonté du monde on peut trouver qu'Orane Demazis a la fragilité indispensable à son rôle. Mais l'honnêteté impose de dire qu'elle est tellement mauvaise comédienne (surtout face à de tels monstres) qu'elle en devient touchante. Bien entendu, comme elle était "Madame Pagnol" à ce moment-là, il était inenvisageable de la remplacer. Comment, alors, utiliser cette voix mal posée, ces intonations fausses, ce jeu exagérant toutes les expressions (il faut regarder ses bras, toujours placés soit le long du corps soit devant elle, paumes en avant, comme si elle voulait repousser quelque chose. J'ai pu la voir sur scène en 1974 dans Le voyageur sans bagages d'Anouilh, avec l'immense Daniel Ivernel : elle avait toujours ces mêmes tics) ? Korda ne s'en était pas préoccupé, et Pagnol ne s'en souciera pas non plus dans César, où il est vrai elle sera plus regardable. C'est peut-être là que le travail d'Allégret est le plus remarquable. Plutôt que de tenter de la changer, il utilise ses faiblesses. Il traite le film comme un drame intimiste où parfois viendrait s'immiscer une tragédie antique. Se souvenant du cinéma muet, plus d'une fois il la filme en très gros plan, ne cadrant que son visage, et on a l'impression de voir Médée s'adressant aux derniers rangs du théâtre d'Epidaure, avec les outrances que cela implique. Et de fait elle devient bouleversante, sans s'en rendre compte, sans rien changer à son jeu habituel.

 

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Milly Mathis, Orane Demazis, Alida Rouffe.

 

Ainsi Marc Allégret gagne son pari, et le personnage de Fanny est magnifique. Peut-être pas tel que l'envisageait Pagnol, mais en 1932 il ne pensait pas encore vraiment "cinéma". Il y viendra plus tard. Quand à Orane Demazis, après leur séparation (elle sera épouvantable dans Le Schpountz...), elle ne tournera plus que de façon très épisodique. Et, bizarrement, Marc Allégret ne confirmera jamais ce coup de maître, réalisant certes de bons films avant-guerre (Sous les yeux d'occident, Gribouille, Entrée des artistes) ou sous l'occupation (le méconnu Les petites du quai aux fleurs), mais plus rien de marquant ensuite. Mais là, son frère aura pris la relève...

 

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25 mars 2013 1 25 /03 /mars /2013 22:40

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Gérard Philipe, Pierre.

 

 

L'association entre Yves Allégret et Jacques Sigurd commença en 1948 avec Dédée d'Anvers et se poursuivit jusqu'en 1956 avec La meilleure part. Ensemble ils tournèrent sept films, dont les trois premiers forment une espèce de trilogie noire, qui culmine dans l'atroce avec Manèges en 1949. Au centre de ce triptyque se situe ce qui reste peut-être le film le plus désespéré du cinéma français, Une si jolie petite plage, sorti le 19 janvier 1949.

 

Dans une nomenclature, le titre pourrait laisser imaginer la chronique d'un été bucolique. Mais je pense au contraire que pour une fois, un avertissement serait nécessaire : "À ne surtout pas regarder en période de cafard". Tout d'abord, l'ambiance. Un bourg isolé dans la Somme, près de la plage et des dunes. Un hôtel qui semble être le seul lieu de vie des environs, et surtout une pluie omniprésente, pénétrante, sale, poisseuse. La photo du maître Henri Alekan accentue encore ce sentiment de fatalité annoncée, en ne proposant pas un film en noir et blanc, mais plutôt en gris et gris (ce qui est souvent la signature d'Yves Allégret). Toutes les nuances grisées sont utilisées, en contrastes violents ou en transitions douces. La faucheuse est annoncée dès les premières images, les destins sont écrits.

 

Il y a du Albert Camus dans le scénario de Sigurd, le Camus de L'Exil et le royaume, où aucun espoir ne semble possible. Pierre Monet arrive un soir dans cet hôtel en paraissant perdu, mais l'on devine qu'il connaît déjà les lieux. Dans un coin, paralysé et muet, l'ancien propriétaire semble le reconnaître et c'est sa nièce qui tient maintenant la maison. Elle maltraite un adolescent tout droit venu de l'assistance, qui assure l'emploi d'homme à tout faire. Même les plus basses besognes, comme assouvir les quatre volontés de la femme d'un riche industriel, pour le moins délaissée. Et Pierre se revoit, des années plus tôt, quand il se trouvait à la place du gamin. Lui aussi est pupille de la nation, lui aussi a mangé les restes, dormi par terre, été molesté. Lui aussi a subi les caprices d'une insatisfaite, une chanteuse avec qui il est parti, un soir d'audace. Une chanteuse qu'il vient d'assassiner.

 

Tout, dans ce lieu sordide, lui rappelle son passé et son dernier geste. Le vieux dans son coin, le gosse exploité, et jusqu'au disque qu'un voyageur de commerce se joue en boucle. Un disque de la chanteuse...Et la police est là, le recherche. Et Fred est là aussi, l'ancien amant de sa victime. Tout le cerne, tout l'enserre et dehors il n'y a que le déluge. Seule Marthe, la serveuse, va se comporter en amie, être pour lui une épaule, chercher à organiser sa fuite. Mais la grisaille et la pluie disposent quand une main tendue propose. Pierre ira vers la mort.

 

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Christian Ferry, Gérard Philipe.

 

Pierre, ange ayant été démon l'espace d'une seconde et qui en a perdu ses ailes (factices, vu son histoire dès l'origine) jusqu'à la fin de ses jours, demandait un acteur d'exception capable d'incarner ce bouillonnement intérieur en laissant croire qu'il s'agit d'un vide sidéral. Le Gabin d'avant-guerre aurait été insurpassable, celui de La Bandera ou, évidemment, du Jour se lève. Pour ce rôle impossible, Gérard Philipe offre sa plus belle performance d'acteur au cinéma, et de très loin. Je veux bien croire qu'il fut exceptionnel au théâtre, mais il ne m'a jamais vraiment convaincu à l'écran. Sauf ici, où il est exceptionnel, l'exact personnage surgissant comme une ombre qui s'en va vers le néant.

 

N'importe quel autre scénariste aurait créé un couple, ne serait-ce que pour une nuit. Là, c'est la fraternité des désespérés, de ceux qui ne croient plus en rien mais se délectent d'une main tendue. De simples effleurements amènent les seuls sourires sincères dans tout ce marasme. Et Marthe est jouée par la sublime Madeleine Robinson, pour moi l'une des plus belles actrices de ces années-là, souvent oubliée au profit de comédiennes à la plastique plus avenante. Mais qui d'autre a eu cette beauté vraie, cette simplicité dans le geste, ce regard d'une douceur qui pénètre au plus profond de l'âme, et cette voix à la fois pure et sauvage ? Dans toute la première partie du film elle se tient tête baissée, se veut invisible. Elle est la chienne de la maison, celle qui pourrait dormir à-même le sol, après l'avoir frotté et monté l'eau dans les chambres. Elle ne veut rien voir, elle ne veut pas être complice. Mais Pierre a besoin, au sens propre du terme, même si l'image est forte et belle, d'un pansement. Et dès qu'elle lui apporte, qu'elle ose le regarder, elle se métamorphose. Droite et digne, elle va vouloir le sauver.  Grâce à elle, à ce qu'elle dégage, les plus optimistes pourront croire un instant qu'elle va changer le cours des choses, que Pierre va s'en sortir, qu'ils vont s'enfuir. Hélas...

 

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Madeleine Robinson, Gérard Philipe.

 

 

Autour d'eux, on vivote, on triche, on juge. Jane Marken campe une tenancière toute de lâche bassesse (avant d'être la mère abjecte dans Manèges), Julien Carette fait son numéro habituel et génial en voyageur de commerce. Mona Dol est subtilement perverse et l'on croise l'ombre diabolique, quasi méphistophélique, de Jean Servais, suintant la haine par tous les pores de sa peau.

 

Tous sont superbement dirigés par un Allégret qui semble pourtant s'effacer, comme s'il voulait que la pluie propose sa propre mise en scène. Un bruit de pluie qui accompagne la splendide musique de Maurice Thiriet, elle aussi désespérée, qui module ses thèmes autour de la "chanson qui tue" (chantée par Madeleine Robinson elle-même) et se permet aussi d'introduire le thème du choral de Bach Christ lag in Todesbanden, comme si les dunes étaient un Golgotha.

 

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© Franz Muzzano - Mars 2013. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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29 juillet 2011 5 29 /07 /juillet /2011 22:03

Il faut parfois oser bousculer des certitudes et faire tomber des statues. Bien qu'ayant presque tous les ingrédients pour réussir un grand film, Carné ne fait pas du Quai des brumes un absolu chef-d'oeuvre, et j'ose même écrire que sur bien des points, il passe à côté de son sujet.
Balayons les critiques politisées de Renoir, rebaptisant "Le cul des brèmes" ce qu'il considère être fascisant, ou celles émanant des pourfendeurs de tout ce qui ne glorifiait pas le Front Populaire. Querelle de géants dans un cas, jalousie de gnomes pour beaucoup d'autres. Contentons-nous de regarder comment on rate son coup...
Carné bénéficie de ce qui se fait de mieux à la technique (Page, Trauner...), d'un sujet montmartrois signé Mac Orlan transposé au Havre, et de la crème de la crème pour ses rôles masculins. Et puis il a Prévert pour la deuxième fois après Drôle de drame. Nous atteignons la perfection dès le début du film, quand Gabin expose à Marcel Péres ce que signifie "tirer", dans un duel avorté au-devant d'un camion (magistral monologue d'une violence rentrée hallucinante), puis nous continuons dans le nirvana avec l'arrivée chez Panama. Delmont est tout simplement phénoménal, peut-être incarne-t-il ici son plus grand rôle. Aimos est égal à lui-même, Tintin de La belle équipe ressuscité. Le Vigan, fabuleusement spectral, comme toujours génial offre cinq minutes inoubliables. Avec Gabin, ils vont nous donner une idée assez précise de ce que doit être un jeu d'acteur, donnant l'impression de ne rien faire, de converser sans la moindre once de théâtralité ou le plus petit début de cabotinage. La tension est là, présente et puis Gabin a faim et le soufflé retombe...Carné ne pourra s'en remettre.
Car dans la pièce où Panama l'emmène se trouve Nelly...Et malheureusement, presque douloureusement, je dois constater que Michèle Morgan n'a pas la carrure pour s'immiscer dans ce panthéon. Accordons-lui la jeunesse, même si l'on connaît des actrices du même âge qui faisaient tout exploser dès leur apparition. Ce décalage va plomber tout le film (d'autant que l'on ne verra presque plus Delmont et Aimos, et plus du tout Le Vigan), amenant le duo Carné/Prévert sur la route d'une romance bien fade. Toutes les scènes du couple sont des tunnels, et Gabin doit déployer tout son génie pour conserver son personnage, face à une Morgan se voulant poétique, mais ne parvenant qu'à surjouer la pureté retrouvée. La preuve en est donnée par sa rencontre avec le médecin du cargo, magnifique Génin (bien oublié, celui-là), où tout à coup la tension remonte et où, délivré de l'aveuglement de l'idylle naissant hors tournage, il redevient le Gabin qui a faim.
Malgré le drame tournant autour des personnages joués par un Michel Simon admirable de sobriété contenue et par un Brasseur volontairement (et superbement) ridiculisé, on ne retrouvera jamais la magie des vingt premières minutes. Faut-il ajouter que Carné rate l'issue fatale, précipitée, et que les mots de Prévert dans la bouche d'un Gabin agonisant ("Embrasse-moi vite, on est pressés...") frisent le ridicule, tout comme la cheminée du cargo répondant au hurlement de Morgan ? Sauf à considérer que la véritable fin est donnée par le chien Kiki, disparaissant dans le brouillard en quête de l'ami perdu...ce qui serait très à sa place dans l'univers de Prévert.
On se souvient de ce film pour l'une de ses répliques les plus oubliables, banales, ne valant que par le cadrage et la lumière qui l'accompagnent ou plutôt l'enjolivent. On s'en souvient pour ce qu'il a de moins remarquable. Rien que pour ses yeux, en quelque sorte...
Alors Carné surévalué ? Non, car s'annonce Hôtel du Nord. Mais avec Jeanson...

 

 

© Franz Muzzano - Juillet 2011. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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19 février 2011 6 19 /02 /février /2011 00:44

L'Assassinat du Père Noël est surtout connu pour être le premier film produit par la Continental dirigée par Greven. La critique de l'époque, Rebatet en tête, y vit un honnête travail de fantastique alpestre, notant la constance du tandem Christian-Jaque/Pierre Véry dans l'utilisation habile des groupes d'enfants (voir Les disparus de Saint-Agil). Dans son essai remarquable et essentiel, Les écrans de la guerre, Philippe d'Hugues, bénéficiant du recul du temps, se montre moins sévère envers les acteurs que son illustre aîné, qui déplorait l'extrême théâtralité de l'ensemble de la distribution. Comme nous aimerions, aujourd'hui, pouvoir jouir de telles personnalités !

Une dimension du film me semble avoir été négligée. Nous ne la devons pas à Pierre Véry ni à Christian Jaque, mais au scénario et surtout aux dialogues de Charles Spaak. Sur bien des points, il nous montre l'état de la France de 1940, et surtout les raisons qui ont amené la débâcle. Les propos du génial Le Vigan dès le début du film, instituteur libre penseur halluciné, sont on ne peut plus clairs. Il dépasse l'horaire d'une minute, alors que nous sommes au dernier jour de classe avant les vacances. Ses élèves lui en font la remarque et que répond-il à ces gamins au demeurant adorables ? "Depuis le premier jour de la rentrée des classes vous ne pensez qu'à cette minute où vous serez en vacances !". Ce constat qu'il assène est tout simplement celui de la démobilisation morale et physique d'un peuple aveuglé par les chimères de 1936, plongeant dans les congés payés alors que de l'autre côté de Rhin le scénario était inéluctable. La ronde infernale qu'il improvise dans l'auberge n'est rien d'autre qu'une illustration de l'état d'esprit munichois. Et comment ne pas voir dans l'insistance donnée à la semaine de retard de la gendarmerie, errant du nord au sud et d'est en ouest avant de trouver le village, une dénonciation par l'absurde de l'impréparation des troupes françaises et des égarements de leur état-major, les yeux rivés sur l'illusoire ligne Maginot. Les exemples sont nombreux dans cette histoire où tout le monde ment ou se ment, où chacun soupçonne son voisin (annonce du Corbeau) et où le malheureux Harry Baur est obligé de proférer à qui veut bien l'entendre "qu'il n'a pas un nez d'ivrogne", phrase qui sonne pour lui comme un cri de survivant bien fragile.

L'Assassinat... n'est certes pas un manifeste. Il reste avant tout un divertissement joliment ficelé et admirablement interprété (et merveilleusement photographié par le magicien Thirard). Mais ces quelques détails apparaissent trop puissants pour n'être que divagations d'un spectateur cherchant à perforer le fondement des mouches...

Collection Christophe L.

 

© Franz Muzzano - Février 2011. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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Présentation

  • : Les Chroniques de Franz Muzzano
  • : Écrivain, musicien et diplômé d'Histoire de la Musique, j'ai la chance, depuis plus de 40 ans, de fréquenter les salles de concerts et les maisons d'opéras, et souvent aussi leurs coulisses. J'ai pu y rencontrer quantité d'artistes, des plus grands aux plus méconnus. Tous m'ont appris une chose : une passion n'a de valeur que si elle se partage. Partage que je vais tenter de vous transmettre à travers ces chroniques qui relateront les productions que j'ai pu voir ou entendre (l'art lyrique y tenant une grande place). Mais aussi les disques qui ont contribué à me former, tout comme les nouveautés qui me paraîtront marquantes (en bien ou en mal). J'évoquerai aussi certaines grandes figures du passé, que notre époque polluée par les "modes" a parfois totalement oubliées. Je vous proposerai aussi des réflexions sur des aspects plus généraux de la vie musicale. Tout cela dans un grand souci d'impartialité, mais en assumant une subjectivité revendiquée. Certaines chroniques pourront donc donner lieu à des échanges, des débats contradictoires, voire des affrontements qui pourront être virulents. Tant que nous resterons dans la courtoisie, les commentaires sont là pour ça. Et vous êtes les bienvenus pour y trouver matière à vous exprimer. En n'oubliant jamais que la musique n'est rien sans les artistes qui la font vivre et qui nous l'offrent. Car je fais mienne la phrase de Paul Valéry : "Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin d'artistes. Mais nous avons besoin de gens qui ont besoin d'artistes".
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